Qu’est-ce qui fait que les vrais skateshops, ceux avec pignon sur rue et un type qui sait qui est Marc Johnson derrière le comptoir, se raréfient ? Suite de la série skateshops avec Cyril Horlaville qui a ouvert Balargue skateshop dans le 92 à deux pas du périf‘ il y a un peu plus d’un an, après un parcours atypique et à une période compliquée…
Depuis quand est ouvert le shop ?
Cyril : Depuis le 9 juillet 2016.
Qu’est-ce qui t’a pris d’ouvrir un shop en région parisienne où c’est un peu la guerre ?
Je n’ai pas réfléchi à ça. Moi, au départ, je suis ingénieur. J’ai fait l’école Centrale de Nantes et j’ai bossé pendant dix ans dans la valorisation des déchets, donc rien à voir. Au bout de 10 ans de vie active, ras-le-bol, j’ai voulu faire un break. J’ai un peu chillé et je suis remonté sur ma board. Avec le boulot, je n’avais pas toujours le temps, les potes, la motivation ou les spots…
Pourtant, à Nantes, y’a de quoi faire !
Oui, c’est d’ailleurs là-bas que j’ai skaté le plus quand j’étais plus jeune, mais quand je suis revenu en région parisienne, j’ai bossé du côté de Mantes-la-Jolie puis à Saint-Quentin-en-Yvelines, et j’avais un peu mis le skate de côté… Et donc pendant mon break, je suis allé skater du côté de Clamart et je suis tombé sur Thomas Courteille. On a bien accroché, ça m’a remotivé et je me suis rendu compte que le skate m’avait beaucoup manqué… J’ai aussi rencontré Tao (Wilfried Mandereau) avec qui le contact est super bien passé. Et rapidement, on a eu envie de s’impliquer sur un projet. Alors on s’est dit qu’on allait faire une vidéo. On a fait quelques t-shirts Balargue Supply pour nous, les potes et ceux qui voulaient nous soutenir. On s’est lancé dans le projet vidéo avec Thomas, Florian et Tao. Les choses ont avancé, on avait un bon contact avec la scène locale, aussi. C’est là que je me suis dit qu’il n’y avait pas de vrai skateshop dans le 92 et dans le sud-ouest de Paris. Donc c’est au cours du filming de la vidéo que j’ai commencé à y réfléchir…
Vous vous fournissiez où, avant ?
On allait sur Paris. Quand tu viens de banlieue, République ou Nation, c’est assez loin, donc d’un point de vue purement ‘étude de marché’, je me suis dit qu’il manquait un bon skateshop dans le périmètre.
„ON ÉTAIT UN CREW, ON A FAIT UNE VIDÉO, J’AI ÉTUDIÉ LE MARCHÉ ET C’ÉTAIT PARTI…“
Tu as vraiment fait cette étude de marché ?
Oui, j’ai bien bossé le projet, il y avait la passion et je connaissais bien ma scène mais avec mon background scientifique, je n’allais pas me lancer en mode parachute sur un marché compliqué ! Le constat était là : les vrais skateshops parisiens, ils sont dans l’est de Paris. Dans l’ouest, il n’y a presque rien. Donc je me suis dit qu’il y avait la place. Et à côté de ça, il y a des bons ou très bons skateparks en béton qui sont arrivés : Clamart, Le Plessis-Robinson, Meudon, Issy-les-Moulineaux, Vanves… On est dans un périmètre où le niveau de vie est pas trop mal, donc ça faisait un bon territoire pour se lancer dans l’aventure. Bref, on était un crew, on a fait une vidéo, j’ai étudié le marché et c’était parti…
Tu ne regrettes pas ta carrière d’ingénieur ?
J’ai bossé dix ans dans l’environnement, et même si ça me plaisait au départ, au final, tu ne sauves pas les dauphins, tu bosses juste pour des industriels qui gèrent des déchets, et dont l’objectif principal est qu’il y en ait de plus en plus ! Même si j’étais un peu chez les Bisounours parce que j’étais dans la recherche, il y a un moment où je me suis rendu compte que je bossais pour des gens qui n’en avaient pas grand chose à faire (de l’environnement – NDLR)…
Et tu trouves qu’il y a plus d’éthique dans le skate ?
Je ne me suis pas fait cette réflexion. Je me suis juste dit que j’allais tenter un autre truc qui me stimulait plus. Je suis passionné de skate depuis mon adolescence, j’avais envie de tenter le coup et la scène en avait besoin…
Combien de temps ça a pris, entre l’idée et l’ouverture du shop ?
Je dirais que ça a commencé à me trotter dans la tête environ un an avant l’ouverture et que j’ai bossé à fond dessus six bons mois avant l’ouverture. Le temps de faire le point, de trouver un peu de financement, de monter le projet et qu’il tienne la route, aller voir les banques, apprendre un peu la comptabilité, la gestion…
Pas complètement à l’aveuglette !
Ah ah, on ne se refait pas, j’ai fait des études scientifiques ! Je suis cartésien ! J’ai fait de la recherche, j’aime comprendre comment ça marche.
Et un an plus tard, est-ce que tu peux faire un premier bilan ?
On est à plus d’un an après l’ouverture, là, je suis à peu près dans les objectifs que je m’étais fixé, même s’il y avait un truc que j’avais mal évalué : ici, dans le 92, toute cette banlieue sud-ouest de Paris, le niveau de vie est relativement élevé, ce qui fait que pendant les vacances, il n’y a plus personne. Il y a du budget, mais les gens partent beaucoup. Donc j’ai ouvert en juillet, j’avais besoin de me faire connaître mais j’étais en plein milieu des vacances. Du coup, les deux premiers mois ont été inférieurs à ce que j’imaginais et dès le départ, je me suis retrouvé en dessous de mon plan de première année. Mais la progression est là et tout cela se rattrape bien.
Que des fadas tour, 2017
Comment tu as fais de la com’ ? Tu n’as pas de site web ?
Pour le moment, je n’ai pas de site web mais c’est imminent. Certes c’est indispensable, mais j’ai eu un peu peur de me lancer là-dedans parce qu’il y a des gros morceaux sur le net. Quand tu la joues ‘local’, et c’est un peu mon utopie de skateshop à l’ancienne, tu n’es en concurrence qu’avec tes voisins. Sur Internet, tu es en concurrence avec le monde entier ! Et avant ça, je me disais que je serais plus en concurrence avec Nozbone, Bud, Snowbeach, qui vus de l’extérieur, ont l’air d’être bien installés avec leurs sites internet. Donc avec en plus la concurrence internationale, est-ce que ça vaut le coup de dépenser de l’argent pour un site ? Parce que j’ai envie de faire un truc bien, donc j’ai préféré miser sur les réseaux sociaux classiques, être assez actif sur Instagram, m’appuyer sur les gars avec qui je skate, aller naturellement sur les spots et les skateparks et être identifiés, moi et notre petit crew.
Tu as une démarche assez à l’ancienne…
Oui, à l’époque je crois que c’est comme ça qu’on faisait, il fallait s’impliquer localement !
Je constate que tu n’as pas de Nike ou Adidas dans le shop. Est-ce que c’est une volonté ?
Il y a un peu de ça, mais je ne suis pas fermé là-dessus. Je ne suis pas dans le discours ‘Don’t do it’ à la Consolidated. Ça me parle un peu mais je veux surtout être très prudent avec les précommandes et les minimums de commande. Soutenir les marques skaterowned c’est un choix qui coïncide avec l’envie d’éviter de me suicider parce que j’ai reçu trop de chaussures des majors…
Les clients ne t’en demandent pas ?
Si ! On me demande des Janoski, évidemment !
Est-ce que tu arrives à vendre autre chose à un type qui vient acheter des Janoski ?
J’ai réussi quelques fois… Au départ, je ne suis pas très emballé par le programme skate de Nike. Pour moi il y a un côté un peu trop athlètique, ça ne me parle pas trop. Ils inondent le marché, c’est une de leurs forces, je ne leur jette pas la pierre. Il faut aussi reconnaître que Nike sait faire des chaussures de sport depuis très longtemps… Et finalement ces dernières années, on retrouve tout type de skate chez eux, du sportif comme Nyjah au plus funky comme Jarne. Par contre, c’est compliqué d’aller discuter avec eux : il y a des minimums de commande, et je crois bien que si tu n’as pas un premier bilan, ils refusent de travailler avec toi… J’ai aussi entendu qu’il y avait des histoires de packages, par exemple si tu veux la Janoski qui se vend toute seule, tu dois prendre d’autres modèles que tu auras peut-être du mal à vendre…
„MARK SUCIU EST CERTAINEMENT MON SKATEUR PRÉFÉRÉ“
Et Adidas ?
J’aime un peu plus leur programme, le fait qu’ils jouent un peu le jeu avec les petites marques de leurs skaters… J’ai bien aimé la vidéo Away Days. Mark Suciu est certainement mon skateUr préféré et j’ai un gros faible pour Busenitz… En fait, le problème essentiel de travailler avec les majors, c’est que ça tue la variété sur le mur de chaussures…
Est-ce que le shop, comme à une certaine époque, est devenu le point central de la scène locale ?
Je ne vais pas te dire haut et fort que oui ! Mais c’est vrai que le week-end notamment, le crew et quelques gars se donnent rendez-vous ici pour aller en session, ou viennent mater une vidéo quand il pleut… C’est pas tout à fait comme à l’époque. Quand j’allais chez Bud, tu pouvais choisir la cassette que tu voulais regarder… Aujourd’hui la consommation de vidéos est différente, c’est du zapping incessant, les grosses part’ sortent toutes les semaines… Mais bon, il y a du squat, ils viennent lire les mags, on discute, on regarde les vidéos du moment même si ce n’est pas une MJC que j’ai ouvert !
Comment se passe la relation avec les autres commerces du coin ? Le skate n’est pas toujours bien vu, surtout dans les coins un peu bourgeois…
Je fais partie de l’association des commerçants, parce que je pense que c’est important de se serrer les coudes entre petits commerçants. Je m’entends très bien avec les autres qui sont très contents d’avoir un commerce orienté vers les jeunes, dans un quartier un peu vieillissant. Même si la mairie pourrait être plus réceptive, ça se passe bien.
Cyril. Photo : Thomas Courteille
Qu’est-ce qui manque, aujourd’hui, dans le shop ?
De l’optimisation en terme de mobilier ! Après, j’ai vu des shops plus bordéliques… Il faut développer un peu plus la clientèle pour les chaussures et le vêtement, que je me fasse plus connaître auprès des gens qui ne skatent pas…
En même temps, tu n’as pratiquement que des petites marques de skate…
Je réajuste ça. J’ai un peu trop joué le jeu avec Sole Tech alors qu’il faut se rendre à l’évidence qu’Emerica et compagnie, c’est plus dur à vendre. Donc j’évolue doucement vers des marques un peu plus demandées.
Qu’est-ce qui se vend le mieux ?
Les boards du shop. On a joué la carte de la qualité, on a des très bons retours… Ça se fait peut-être au détriment de la vente des boards américaines mais ça installe notre image. Thrasher ça se vend bien, depuis le boom en 2016, les t-shirts partent bien… Ça met du beurre dans les épinards, même si on me demande parfois pourquoi je vends du Thrasher à des gens qui ne skatent pas ! Je pense que c’est une manne sur laquelle il ne faut pas faire l’impasse, même si c’est déjà un peu retombé…
C’était quand la dernière fois que tu t’es balargué ?
Moi je me balargue à ma façon ! On n’a pas choisi ce nom là parce qu’on se jette tous les jours sur vingt marches mais parce que ça sonnait marrant, que c’était associé au skate. Ça résumait l’état d’esprit qu’on voulait avoir ! Un truc un peu franchouillard pour changer des skateshops avec un nom anglo-saxon même si ça s’éloigne un peu du sens premier qui est de se jeter sur un gros truc. Mais au départ, c’était juste le nom de notre petit crew. Au final, que ce soit pour ton premier ollie sur un trottoir ou pour un flip trick sur un gros set, le skateboard c’est de l’engagement… Quand je me suis posé la question du nom du shop, je me suis dit que c’était ça qu’il fallait garder et tout simplement continuer l’histoire.
Voir aussi Zeropolis (Lille), Official (Toulouse) et WallStreet (Lyon).