Qu’est-ce qui fait que les vrais skateshops, ceux avec pignon sur rue et un type qui sait qui est Reese Forbes derrière le comptoir, se raréfient ?
Alors qu’on aurait pu penser que l’ouverture d’une boutique dédiée au skate était une entreprise (trop) risquée à Paris en 2010, les petits gars de chez Vega ont tenté le coup, et ils sont toujours là.
„L’ACCUEIL ET LE SERVICE !“
Comment t’es venue l’envie d’ouvrir un shop ?
Rémi : L’idée vient de Manu (l’ancien propriétaire de Circus skateshop, au Mans), qui est mon associé. Je lui avais demandé de venir à l’interview mais il part en Angleterre aujourd’hui, alors il me fait confiance pour les réponses ! Ah ah ! On a skaté ensemble pendant une dizaine d’années, puis on s’est perdu de vue lorsqu’il est venu habiter à Paris. C’est lui m’a dit qu’il y avait de la place pour faire un shop à Paris et il m’a demandé si je voulais m’associer avec lui.
Donc tu es arrivé de Montpellier pour monter Vega.
Exactement ! Le jour où je ferme le shop je m’en vais de Paris ! Je suis venu ici vraiment pour faire le shop, mais si c’est pour faire autre chose ça ne m’intéresse pas vraiment…
Avec des skateshops parisiens déjà très implantés sur la rive droite comme Nozbone et Snowbeach et la proximité du shop Element, tu n’arrivais pas vraiment en « position de force » sur le marché. Comment ça s’est passé ?
Hmm… On est passé un petit peu entre les gouttes, si on peut dire. C’est difficile à expliquer. Il y a eu un moment où on s’est vraiment demandé si ça pouvait marcher, mais au final ça l’a fait. C’était surtout par rapport à Element à vrai dire, mais vu que ce qu’ils proposent n’a pas vraiment la même identité ce qu’un skateshop va proposer, on accueille une autre forme de clientèle.
Ça a dû être ressenti comme de la concurrence, même si tout compte fait l’entente ne semble pas mauvaise aujourd’hui…
Exactement. La clientèle d’Element est peut-être un peu plus jeune, un peu plus grand public. C’est pour ça qu’on n’a pas vraiment de problème à s’envoyer des clients chez l’un ou chez l’autre. Si on me demande du Element j’ai grand plaisir à leur dire que c’est là-bas qu’ils trouveront ce qu’ils cherchent, et ils peuvent très bien nous appeler si nous avons des articles qu’ils n’ont pas. C’est le seul commerce (parce que c’est le plus proche de nous) avec qui on s’est posé quelques questions quand on a ouvert le magasin, et au final ça se passe très bien.
À ton avis, qu’est-ce qui fait qu’un shop se démarque de la concurrence ?
L’accueil et le service. C’est-à-dire qu’on propose aux gars qui n’ont pas obligatoirement envie de monter leurs boards de le faire pour eux, on grippe tout le temps les planches… Enfin, on est là pour servir le client. Dans tous les shops on peut avoir les mêmes produits, donc qu’est-ce qui va faire qu’un client va aller chez un autre plus qu’ailleurs ? C’est l’accueil et le service.
Comment est-ce que tu imaginais la vie dans un skateshop comparé à la réalité ?
Je mettais mis plus de pression par rapport à comment renseigner les gens correctement, je me voyais avec des pros qui venaient dans le shop et qui demandaient vraiment d’avoir quelqu’un de compétent en face d’eux, et donc j’avais placé la barre un peu haut. Au final ça se passe bien tout naturellement, c’est juste que je me retrouve de l’autre côté du comptoir.
Et puis j’imagine que vendre des produits que tu connais bien, ça aide…
Je ne m’imaginais pas ça aussi cool en fait. C’est vraiment super détente, et les mecs qui me mettent la pression je leur recommande éventuellement d’autres magasins, ah ah ! On n’a pas besoin de courir après les gars, ceux qui se sentent bien ici viennent naturellement. À mon avis, pour chaque mec il y a un shop qui lui correspond, et ceux qui ont trouvé leur place chez nous sont les bienvenus.
Ça t’arrive d’être un peu blasé de vendre des boards et de ne pas pouvoir aller skater toi-même ?
Je pense que t’es blasé au bout de quinze ou vingt ans. Et encore ce n’est même pas sûr, mais c’est peut-être qu’à un moment dans ta vie tu as envie de faire autre chose. En tout cas ça fait sept ans qu’on est ouvert et c’est toujours différent. On accueille des crews, on renouvelle nos boards perpétuellement, on fait des contests… Il y a toujours quelque chose à faire. Franchement dans un shop de skate il n’y a jamais rien à faire, à part vraiment si pendant 3 semaines au mois de novembre tu n’as rien vendu, et à ce moment-là c’est compliqué…
Demain Charrette, 2014
Qu’est-ce que tu vends le plus, tous article confondus ? Est-ce que des gens achètent encore de la wax ?
Ah ah ! C’est une drôle de question, ça. Oui, il y a encore des gens qui achètent de la wax, mais généralement ils n’ont pas plus de 15 ans.
Qu’est-ce que tu vends le plus ?
Je pense qu’on est sur deux-tiers de shoes et un tiers de matos. En fait il faut se dire que lorsqu’un mec rentre dans un skateshop il y a 100% de chance qu’il mette des chaussures et plus beaucoup (de chance) pour acheter seulement une board. Tous les mecs qui rentrent dans un shop ont besoin de chaussures, mais peut-être qu’ils n’ont pas tous besoins d’un skate. Donc ton potentiel est sur la chaussure.
Tu penses que tu pourrais booster les ventes de boards en les mettant plus en vitrine ?
Hmm… Non. Il n’y a déjà pas beaucoup de skateshops spécialisés à Paris, donc les mecs qui font du skate savent très bien où aller pour acheter des planches. On met en avant les chaussures parce que tout le monde a besoin de chaussures, mais les mêmes personnes qui passeraient devant la vitrine et verraient un skate n’iraient pas se dire : « tiens, si je me mettais au skate ? ».
„ON N’EST PAS DE LA GÉNÉRATION ‚RÉSEAU SOCIAL’“
Tu penses que l’utilisation des réseaux sociaux est une bonne chose pour booster les ventes du shop ? Tu arrives à observer une progression significative des ventes lors des périodes où tu fais beaucoup de posts sur divers réseaux sociaux ?
On est un peu de la vieille école, Manu et moi, et on n’a pas trop été élevés avec les réseaux sociaux. Peut-être qu’on sous-utilise cette forme de communication mais on a, je pense, d’autres atouts, peut-être plus dans le côté « relations humaines ». C’est ce qu’on a essayé de développer avec ce shop. Après il y a peut-être des shops qui sont forts pour poster tous les jours sur Facebook, Instagram et tout ce que tu veux, par contre quand t’y vas t’es reçu comme une merde. Au final on privilégie plus l’accueil « réel », parce que c’est ce qu’on sait faire. Nous on n’est pas de la génération ‚réseau social‘. Chaque shop à son identité, on a choisi de faire un shop à notre image.
Et puis en faisant du social media alors que c’est pas du tout quelque chose qui t’intéresse, tu risques de « sonner faux »…
Exactement ! Pour moi ça se passe dans le shop avec les mecs, c’est là où tout se joue. Tu peux attirer des clients avec tous tes posts, mais en allant dans le shop ils peuvent très bien se rendre compte que ce que tu représentes n’est qu’une vitrine.
Il est alimenté par qui votre compte Instagram ?
Par pas grand monde, c’est surtout par les riders eux-mêmes qui ont les codes. Ceux qui veulent poster ils postent, nous on ne court pas après les gars pour leur dire de faire ceci ou cela. Si un rider cherche à rouler pour le plaisir, il sera le bienvenu ici. Si c’est dans un esprit de compet’, c’est pas tellement l’esprit du shop…
Est-ce qu’il y a des articles dans le shop que tu aimerais avoir mais pour lesquelles tu penses qu’il n’y aura jamais aucune clientèle ?
Mon rêve c’était d’avoir un shop avec une mini. Si je devais donner un deuxième souffle à Vega, ça serait de trouver un endroit où caler une mini. Enfin bon à Paris c’est un peu une utopie parce qu’il faut une place de malade, et vu le prix du mètre carré… C’est un peu compliqué. J’espère vraiment pour les parisiens qu’un jour il y aura un beau skatepark indoor, un vrai skatepark indoor. Toutes les villes européennes, même celles qui sont beaucoup plus petites que Paris, ont un skatepark de malade.
Tu l’as dit : le prix au mètre carré.
Je sais que Nike a cherché, ou cherche encore depuis genre 5 ans, et justement, ils n’ont pas l’air de trouver quelque chose à un prix raisonnable. Il faudrait un truc comme Chelles mais dans Paris. C’est la taille d’un skatepark quoi. Pas un truc multi-park avec des créneaux de rollers ou je sais pas quoi, un vrai skatepark ! Je trouve que Paris mérite son skatepark, il y a une super scène skate ici. Ils sont censés agrandir Chelles pour les J.O., même si à mon avis, le skate c’est pas vraiment leur priorité…
T’en dis quoi du skate au J.O ?
J’imagine que ça devait arriver un jour ou l’autre, même si je voyais ça plutôt sur de la rampe et beaucoup moins sur du street. Le street c’est cent fois moins accessible que la rampe, c’est beaucoup moins visuel. N’importe qui peut apprécier un mec qui vole à 2,50m de haut, alors que quand tu fais un tré en flat les mecs se demandent si tu n’as même pas raté quelque chose en vérité. C’est indéchiffrable pour un novice, alors que la rampe c’est tout de suite très accessible.
Je me suis demandé comment ils allaient faire pour rendre ça assez accessible au public avec une audience aussi large…
À mon avis ça va ressembler à la Street League. À quoi ça pourrait ressembler d’autre ?
Entretien réalisé à Paris le 21 octobre 2017 par Florian Debray.
Voir aussi Zeropolis (Lille), Official (Toulouse) et WallStreet (Lyon) et Balargue (Issy-les-Moulineaux).