Youri fait du skate et touche un peu à tout. Il est le réalisateur de génie d’un clip sorti il y a quelques mois et qui méritait qu’on y revienne : ON/OFF. Contrairement à la plupart des clips passés sous vos yeux en 2017, il est probable que celui-là ait laissé une trace dans votre mémoire. Et si c’est le cas, c’est qu’il méritait vraiment qu’on s’y attarde !
Combien de vues a fait la vidéo ON/OFF ?
Je ne sais pas. J’ai demandé à Nowness mais ils ne m’ont pas répondu. Du coup j’ai demandé à Vimeo qui m’ont dit qu’il n’y avait que Nowness qui pouvait me dire. Alors j’attends un peu et je bataillerai plus tard pour avoir les chiffres. Mais je pense que ça en a fait beaucoup !
Comment est venue l’idée ?
Visuellement, l’idée vient d’un clip de Die Antwoord « enter the ninja », c’est un mec qui rappe devant un mur avec des tags très graphiques blancs sur noir, qui alterne avec la même chose en noir sur blanc. Il n’y avait pas l’idée des habits qui s’inversent aussi mais c’est de là qu’est venue l’idée de travailler sur un truc négatif-positif.
Comment fait-on, concrètement, pour que les raccords, dans ta vidéo, soient aussi précis ?
On a fait des beaucoup de tests, certains rushs n’ont pas pu être utilisés comme certaines lignes au fisheye avec trop de mouvements… Donc on s’est dirigés plus vers des travelings en ligne droite où le mouvement est constant et assez simple. On avait deux cameramen : Jérémy Hugues pour les parties skate suivies, et Alex Heitler qui lui n’est pas spécialement dans le skate, avec qui on a travaillé d’autres types de filming : un plan en scooter, un plan en van… Donc on a travaillé sur différentes pistes. Sur du plan fixe on avait un marquage au sol, mais sinon c’était plus au feeling. Et puis c’est au montage que je règle tout : si on met les deux lignes côte-à-côte, c’est différent dans le temps mais je peux me replacer à chaque fois au moment qui marche le mieux avec des cuts. Et il arrive aussi que je zoome un peu dans l’image, avec des points d’ancrage, etc. C’est pas mal de travail de post- production, en fait.
Combien de temps ça prend pour faire une vidéo comme celle-là ?
Le filming a pris du temps, déjà parce que Adrian Chicouard s’est blessé à la cheville et on voulait qu’il refasse une certaine figure, donc il a fallu attendre plusieurs mois. Un nollie flip drop in qui au final n’est même pas dans la vidéo ! Mais le montage s’est fait au fur et à mesure, on voyait ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas, quels types de plans nous manquaient… Donc c’est difficile de dire combien de temps ça a pris parce que ça s’est étalé sur plusieurs mois.
Quel est le rapport entre la vidéo et le projet « How Many Beats Per Minute » ?
C’est une longue histoire… On a fait des variations sur « How Many BPM?», il y a un vinyle qui est sorti et la vidéo est le clip d’un des morceaux de ce disque. HMBPM est un projet fait pour du live, des performances dans des festivals, c’est quelque chose d’assez contemplatif difficile à montrer sur Internet. Donc on voulait faire une variante qui corresponde plus à ce format.
Et c’est ça qui a eu beaucoup plus de succès que les autres trucs…
Oui, ça a eu beaucoup plus de visibilité, ce qui était l’idée, le reste étant fait pour du live.
HMBPM, c’est une performance live avec un half-pipe que tu skates…
… qui donne le tempo à des musiciens en live. C’est un truc qu’on a fait quatre fois. La première à Paris, dans le sous-sol de la galerie L’Hermitage. C’est là-bas qu’on a eu envie, avec l’artiste plasticien Iouri Camicas, de mélanger art contemporain et skate. On a construit une rampe dans le sous-sol avec l’envie de présenter une forme nouvelle dans le contexte de l’exposition. C’est là qu’est née l’idée de faire des aller-retours dans cette rampe.
Et c’est toi qui t’y es collé.
Oui, c’était pas évident à skater, très dur pour faire des figures même si l’idée de départ était juste de faire des aller-retours. Ca a bien marché, on a même invité des gens à skater dessus. On peut voir Zeb (Thomas Busuttil) skater dessus dans « De paris 2014 », Clément Chouleur avait fait des photos…
Et donc, combien de « beats per minute » tu arrivais à faire en skatant ça ?
Là on était à 56, donc à peu près une seconde par trajet. En fait, c’est la rampe qui impose un rythme que je vais ensuite garder donc ce n’est pas si dur que ça. On fait d’abord des tests et puis on définit le tempo, après il faut juste être régulier. (…) C’est vrai qu’on ressent un truc proche de ce que pourrait ressentir un batteur, surtout dans les moments où tu sens que tu te décales et qu’il faut retrouver le bon rythme.
Combien de temps tu peux tenir ?
Sur une petite rampe comme ça, je ne pouvais pas tenir plus de 6 minutes. Mais sur la grande rampe qu’on a présenté au festival Baleapop le plus long qu’on a fait, c’est 17 minutes. La première était petite et en béton et la grande est en plexiglass, inspirée des rampes des années 70. (…) On voulait se rapprocher d’une rampe qui n’est pas destinée à faire des figures, mais qui a une esthétique et une forme parfaite – le demi-cercle. Et donc une rampe qui permettait de tenir plus longtemps. On l’a fait 4 fois, les trois premières on s’était donné 10 minutes et la dernière, avec Petit Fantôme, on a décidé de la faire jusqu’à épuisement…
Et dehors de la vidéo et du skate, quelles sont les autres disciplines artistiques que tu pratiques ?
Comme beaucoup de gens de ma génération qui avons fait une école d’art, on est amené à tester toutes sortes de techniques et à réfléchir à une idée, pour la réaliser d’une manière ou d’une autre, quitte à travailler avec des spécialistes comme par exemple un menuisier, sans se sentir mal-à-l’aise de ne pas faire tout soi-même. A une époque on était plus proche du travail de l’artisan quand la performance était dans la réalisation. Aujourd’hui on travaille sur un idée et on se débrouille pour la réaliser, en s’entourant d’une équipe. Que ce soit de la vidéo, une installation, une expo, pour moi l’idée est simplement de concrétiser une idée, par tous les moyens possibles.
Un clip comme celui-là, ça ouvre des portes ?
Oui, des gens m’ont écrit à la suite de ça. Certains pour me remercier d’avoir fait ce travail et d’autres pour qu’on se rencontre. Le fait d’être vu crédibilise mon travail, oui, même si dans le fond, ce n’est pas le plus important.
Quels sont les projets pour 2018 ?
On a plusieurs projets avec FLVR, toujours en collaboration avec des artistes. Il y a une collaboration avec un groupe de musique, qui arrive très bientôt ! Il faut qu’on refasse notre site, aussi, c’est un truc important qui va prendre du temps… En dehors de FLVR, je développe aussi une pratique en dessin, des dessins au point, une technique assez méditative qui change du travail sur l’ordi !
Entretien réalisé à Paris en décembre 2017.