Peu de chances que vous auriez entendu parler de cette petite ville perdue au fin fond de la vallée de Maurienne si ce n’était pour son skatepark (le „Versus skatepark“). Mi-septembre a eu lieu son inauguration officielle, l’occasion donc de faire les comptes avec l’instigateur de ce chef d’oeuvre collectif : Jérémy Durand.
Photos par Loïc Benoit, texte par Tura
„JE NE SUIS JUSTE PEUT-ÊTRE PAS FAIT POUR BOSSER AVEC DES POLITICIENS“
Combien de maires se sont succédés depuis le premier coulage ? Et est-ce que le certains bords politiques sont plus compréhensifs ?
Jérémy Durand : Depuis le premier coulage en 2017, il y a eu deux maires, de deux bords politiques différents. Et sans surprise, il n’y a eu aucune différence. T’as vu une différence toi, depuis que les français sont allés voter à gauche pour sauver la démocratie aux dernières élections ? Eh bien, pareil pour nous, ça va de mal en pis, d’année en année, de la peste au choléra et inversement.
Combien de temps ça a pris pour que la municipalité comprenne le truc ?
Je ne sais pas combien de temps il va encore leur falloir pour qu’ils comprennent, car ça n’est toujours pas le cas. Nous sommes animés par notre passion, eux par la gloire, le pouvoir, l’argent. Ils doivent gérer des pressions politiques, des subventions, les requêtes de grandes entreprises influentes, etc. Nous, on voulait juste construire le park de nos rêves, en se foutant éperdument de tout ça. On vit dans deux mondes différents. Et honnêtement, je ne pense pas qu’ils soient vraiment compatibles. Bon il y a tout de même des gens comme Léo Valls (Bordeaux), Jérôme Heim (Le Locle DIY), Oli Bürgin (BCB, Portland…), Tristan Morille (Les Gras), qui eux ont réussi à travailler main dans la main tout du moins avec moins de difficulté que moi, avec leur commune respective. Je ne suis peut-être juste pas fait pour bosser avec des politiciens, va savoir…
Combien de fois tu as failli abandonner ?
Une fois par semaine je dirais… Donc si je fais le calcul, environ 400 fois ! Non plus sérieusement, je suis de nature beaucoup trop sensible pour le rôle que j’avais. Malheureusement, personne ne voulait ma place. En effet les critiques me touchaient trop personnellement à chaque fois. Et j’ai certainement trop souvent réagi avec mon cœur plutôt qu’avec ma tête. J’en ai d’ailleurs souvent fait les frais. Bref, tout ça pour dire que dans un projet comme celui-ci, le plus dur, ce n’est pas de bétonner une porte avec 70cm de verticale à la main, non, mais plutôt de gérer les à-côtés, et notamment lorsqu’il s’agit de relations humaines.
Si tu devais construire la même chose pour une autre ville, ça leur couterait combien ?
Si une boîte pro devait construire l’équivalent de notre spot quelque part, ça coûterait au bas mot deux millions d’euros à la collectivité. La mairie de Saint-Jean-de-Maurienne a quant à elle déboursé un peu moins de 200 000 euros. J’espère qu’avec ce que je leur ai fait économiser, ils vont faire dresser une statue de moi en centre-ville ! Ah ah ah !
Combien de fois, en plein coulage, tu t’es dit que ce que vous vous apprêtiez à faire n’était pas une bonne idée, et il a alors fallu improviser un truc totalement différent ?
Eh bien avec le rôle de „chef de projet“, j’étais un petit peu obligé de faire semblant de savoir de quoi je parlais. Bon, ils ne sont pas naïfs, la majorité savait très bien que j’étais stressé à chaque fois qu’on construisait un truc qui sortait un peu de l’ordinaire. Alors bien entendu, il a parfois fallu improviser, en fonction du béton, du nombre de bénévoles, de la météo (et de la quantité de Jameson ingurgitée)… Mais la majorité du temps, on était relativement bien préparés pour parer à toute éventualité. C’est plutôt après coup, en regardant le module, ou en le skatant, que je me disais „p’tain c’est encore une fois beaucoup trop raide et trop haut pour moi cette merde“. Peu importe, les kids m’ont à chaque fois prouvé que j’avais tort en faisant des tricks sur à peu près tous les modules, que même en rêve, je n’arrivais pas à m’imaginer en train de faire.
Combien de mètre carrés ça fait, précisément, aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous avons 3400m2 au total.
Et jusqu’à combien ça pourrait aller ?
Eh bien, pour le moment c’est tout. Une ligne électrique adjacente doit être enterrée dans les années à venir, ce qui nous empêche de continuer. Une fois cette dernière sous terre, peut-être aurons-nous le droit de faire une pump-track (à la „Woodward“) qui ira du parking au skatepark ? À suivre… Ou pas !
Combien de temps tu crois que ça va rester ?
J’espère sincèrement que ce spot me survivra. Et que la relève en prendra soin. En tous les cas, nous l’avons construit du mieux possible pour qu’il dure. Si Netanyahu (ou une autre ordure du genre) ne vient pas fourrer son nez ici, notre spot a encore de belles années devant lui ; prenez-en de la graine avec vos parks éphémères de merde les JO & co !
Combien de fois tu as postulé pour que ça devienne le centre officiel d’entrainement des JO ?
Ah ah ah ! Eh bien tu ne pensais pas si bien dire ! Personnellement, jamais, évidemment. Mais la mairie l’a fait pour moi ! (Enfin, pour eux hein, on s’entend !) Pendant qu’ils refusaient de m’offrir un poste en CDD au SMIC sur la durée totale de la saison de construction, ils étaient prêts à débourser une fortune pour louer de l’éclairage, des toilettes, des douches, des gradins (j’en passe et des meilleures) pour pouvoir accueillir nos „athlètes préférés“ durant une semaine. Heureusement, notre spot n’a pas été retenu. Il doit sûrement y avoir une corrélation avec le fait que nos modules ne respectent pas la charte imposée par le CIO, la Fédé, California Skateparks, et tous les autres acteurs de cette mascarade. T’imagines un peu si Aurélien Giraud était venu s’entraîner ici, il aurait perdu tous ses repères et n’aurait sûrement pas été qualifié pour la finale… Oups ! Ah ah ah !
Combien de fois est-ce qu’on t’a dit que t’étais cinglé ?
Ça a commencé bien avant la construction de ce park donc ça va, j’étais habitué. Et puis j’ai tendance à préférer les cinglés aux bien-pensants. Alors je prends ça plutôt comme un compliment !
Il est possible aussi de suivre Jérémy sur Instagram ICI ou de l’écouter LÀ.