Comment les skaters parisiens, en particulier ceux qui vivent ou ont l’habitude de sortir dans le quartier où ont eu lieu les attaques les ont-ils vécues et quelles conséquences ont-elles pu avoir sur eux ? Parce qu’en vérité, le „Je suis sur le spot“ est plus facile à dire qu’à faire. Ceux qui étaient à République dimanche dernier et qui ont vécu la fausse alerte et le moment de panique peuvent en témoigner.
Rémy, ollie le 1/09/2015 (cliquez sur l’image pour la séquence animée)
[highlight]Le premier que j’ai appelé est Rémy Taveira parce que j’avais entendu dire qu’il s’était barré en Allemagne après les attentats.[/highlight]
„QUAND ON A ENTENDU LES RAFALES, ON A PENSÉ À UN RÈGLEMENT DE COMPTE…“
Où tu étais, au moment des attaques ?
Rémy Taveira : Rue de Charonne… J’avais donné rendez-vous à Pauline (sa copine-NDLR) au métro Charonne, et on est tous les deux arrivés en retard de cinq minutes. Et juste quand je suis sorti du métro, j’ai entendu les coups de feu. Les gens pensaient que c’était des pétards. Moi j’ai compris très vite, mais je ne me suis pas dit que c’était dangereux pour nous. C’est quand les mecs sont passés en voiture à fond devant moi que je me suis dit que c’était chaud pour tout le monde. Alors on s’est tous réfugiés dans les bars aux alentours. Mais au début, on n’a pas réalisé que c’était une attaque terroriste. Quand on a entendu les rafales, on a pensé à un règlement de compte… On avait prévu d’aller manger juste à côté (du bar „la Belle Équipe“ où à eu lieu l’attaque), mais on est finalement allés au Medusa, à deux pas de là. On a raconté ce qu’on venait de voir et au début les gens ne réagissaient pas vraiment… Et puis on a entendu qu’il y avait eu des attaques au Stade de France. Les gars du bar ont baissé le rideau et on est restés enfermés pendant trois heures. C’était le gros stress parce qu’on savait que les mecs étaient encore dans le quartier. Après, on se disait que c’est un petit bar dans une petite rue, et qu’il y avait moins de chances qu’ils viennent par ici.
C’est ça qui vous a fait partir en Allemagne ?
RT : Oui, complètement. Et aussi le fait que le dimanche matin, ils ont retrouvé la voiture, celle que j’ai vu passer devant moi rue de Charonne, dans notre rue à Montreuil ! Alors on a décidé de partir. Ça faisait un peu comme dans « Destination finale » quand la mort poursuit des gens jusqu’à ce qu’ils meurent tous un par un ! Du coup on est parti ! On a raté le train et puis on a réussi à aller jusqu’à Strasbourg. En route, on se demandait si les gens étaient aussi touchés par ce qu’il se passait dans les autres villes. Forcément ils le sont, mais on se demandait s’ils avaient peur. Et là, on est passé devant une femme qui portait un gilet par balles, dans la rue !
„LE LENDEMAIN MATIN, Y’AVAIT DES FLICS PARTOUT !“
Donc on peut dire que les attaques ont eu une influence directe sur ton comportement.
RT : Oui, mais si je suis parti, c’est pour éviter d’avoir à affronter le deuil à Paris, le regard des gens… Dimanche (15/11-NDLR), quand je suis sorti, j’ai senti une mauvaise ambiance alors j’ai décidé de partir une semaine pour décompresser. Le samedi (14/11-NDLR) on n’a même pas osé sortir de la journée, et puis le soir, je m’étais dit que Montreuil, c’était pas là que les terroristes viendraient et qu’il ne se passerait rien. Et le lendemain matin, y’avait des flics partout !
Tu rentres quand ?
RT : Dimanche, je pense. En y repensant, si on n’avait pas tous les deux ratés le métro, on serait arrivés pile à l’heure et on serait passés pile devant le bar au moment où les mecs ont tiré, à ce moment-là… Mais quand tu regardes les gens qu’ils visaient, je me suis senti visé…
Oui, des gens comme nous, des jeunes qui allons à des concerts de rock… Aujourd’hui, l’ambiance est bizarre, ici, tu ne peux pas t’empêcher d’analyser les gens dans le métro…
RT : Oui, comme dans le métro à Berlin quand tu cherches les contrôleurs (qui sont en civil – NDLR) !
[highlight]Ensuite j’ai appelé Roman Gonzales qui n’avait pas trop envie d’en parler. Et puis j’ai pensé à Zeb (Thomas Busuttil, de De Paris). Heureusement pour lui, il était aux États-Unis au moment des attentats. Curieux de connaître sa réaction et celle des Américains, je lui ai envoyé un mail. Voici ce qu’il m’a répondu.[/highlight]
Zeb. Photo : Thibault Le Nours
„MON POTE DONGER ÉTAIT COINCÉ DANS UN HALL D’ESCALIER À CÔTÉ DU BATACLAN“
Où tu étais au moment des attaques et comment as-tu appris ce qu’il se passait ?
Thomas Busuttil : Au moment des attaques j’étais à San Francisco. Pour être exact en direction du Soma skatepark. Vers 14/15h mon téléphone a commencé à vibrer. J’ai reçu des messages de proches que je n’ai pas compris de suite. Puis 2, puis 3… Du coup j’étais obligé de répondre et de demander aux gens, qui eux ne savaient pas vraiment plus quoi me répondre… La session à du prendre fin pour aller fouiller sur internet savoir ce qu’il ce passait. J’ai réussi à comprendre qu’il s’était passé quelque chose au Petit Cambodge et que mon pote Donger était coincé dans un hall d’escalier à côté du Bataclan. Aucune autre info. Puis un nouveau texto pour les kamikazes du Stade de France… À partir de ce moment c’était plus compliqué de retourner skater.
Est-ce que tu as trouvé les américains concernés ?
TB : Les américains se sont montrés non pas forcément concernés, mais affectés, peinés pour nous. Réellement. Du coup ils avaient tous le petit mot „oh, désolé“, „j’espère que ça va, pour vos proches“, etc. . Ce qui au moins permet d’engager pour une fois un peu facilement la discussion. En tout cas une certaine proximité dans la peine, eux étant déjà passés par là. Puis je suis tombé sur ce jeune local hero de skatepark à Los Angeles d’une vingtaine d’années, qui lui se sentait beaucoup plus concerné et m’a expliqué que c’était sûrement les USA qui étaient derrière, comme pour le 11 septembre ! Selon lui, 4 des kamikazes étaient des anciens agents de la CIA et, comme pour 9/11, c’était encore une bonne vieille manip‘ de L’Oncle Sam qui il y a quelques années n’avait pas hésité à faire des milliers de morts en lançant des avions en papier contre les tours à New York. Alors du coup, relativement tout ça lui paraissait tout aussi crédible.
„UN RESTAU DANS LEQUEL TU VAS DEPUIS 10 ANS“
Vu que tu vis dans le quartier, est-ce que tu appréhendes le retour ?
TB : Habiter à 300 mètres de là où ça s’est passé et avoir les bureaux en haut de la rue fait un peu bizarre. Un restau dans lequel tu vas régulièrement depuis plus de 10 ans… Ce n’est pas appréhender le danger, mais plutôt le climat que ces gens ont pu essayer d’instaurer. La seule chose qui me fait peur en rentrant, c’est d’entendre des commentaires limites (les fameuses choses que „tout le monde“ pense tout bas, et qui doivent absolument le rester) ou de tomber sur les regards méfiants envers les uns les autres (ou les arabes, les barbus, les roux, les musulmans, les timides…) et si quelque chose doit se passer encore je ne vais pas m’empêcher de retourner sur le spot. À Jemmapes. Quitte à se faire emmerder, autant que ce soit à la maison !
[highlight]À suivre.[/highlight]