Le dernier pro à ma connaissance à avoir été mongo s’appelle Bill Danforth et c’était dans les années 80*. Aujourd’hui, si vous l’êtes, bonne chance pour qu’on s’intéresse à vous.
Tabous. Illustration : Jon Horner
„COMME QUAND TU FAISAIS UN BENIHANA, ON TE METTAIT TOUT DE SUITE DANS LA CATÉGORIE ‚BOURRIN‘ !“
Mongo est le diminutif de « mongoloid », terme anglais pour « mongolien » et un poil péjoratif. Trisomique ou mongo, on l’est ou on ne l’est pas à la naissance. La différence est qu’on est trisomique à vie. Etre mongo serait donc juste un défaut. Et le propre du défaut, c’est d’être désigné par la société comme tel.
Certains pros ont pu l’être à leurs débuts mais ont dû rapidement changer leur fusil d’épaule pour aller plus loin comme Bastien Salabanzi ou Yann Garin, qui raconte ses débuts à pousser avec le pied avant : « Le départ du mongo pour moi, c’était à Evry. J’étais tout petit. Le chef de la bande c’était René, il était mongo et moi aussi. Certains dans la bande nous avaient fait la remarque, mais le terme ‹ mongo › n’existait pas encore. On nous demandait pourquoi on poussait à l’envers et nous on répondait que quand tu pousses, s’il y a des graviers, tu appuies un peu et ça passe ! Il y avait un côté pratique même si c’était spontané. Pour les petites prises d’élan, aussi, quand tu n’as que 2 mètres, tu as plus de patate en mongo ! Du coup, René revendiquait ça. Et moi je suivais. Je pense que ça duré jusqu’à une compète à Orléans, vers 1997. Je me souviens avoir droppé, poussé deux fois et passé toute la table en indy. Et là, le speaker a cru que j’étais en switch ! Après tout le monde m’a taillé et j’ai réalisé qu’il allait falloir changer. »
Les gros, les petits, les moches, tout le monde est un jour pointé du doigt, et avoir le défaut de pousser avec le pied avant n’échappe pas à la règle. En 2002, Sébastien Charlot signait une page dans Sugar intitulée « comment il ne faut pas pousser » ramenant officiellement une pratique naturelle et inoffensive au rang d’anomalie, mettant au passage une fatwa sur sa tête de la part de tous les mongo-pushers de France. Yann Garin : « Les réflexions qu’on me faisait, c’était ‹ tu skates trop bien, mais il faut que tu changes ça si tu veux plus de style ›… Mais je n’en tenais pas compte au début, je faisais mon truc, jusqu’à ce que Luy Pa me dise un jour ‹ ok, maintenant tu ne pousses plus en mongo ! ›. Et c’est vrai qu’après, tu regardes autour de toi et tout le monde pousse en normal… (…) Il y avait beaucoup de remarques parce que si j’avais été éliminé au premier tour (d’un contest), on m’aurait oublié, mais comme j’allais en finale, en mongo, ça ça ne leur plaisait pas ! »
Yann Garin, mongo-comply nose manual
« Je ne suis pas certain, mais je crois que si j’ai été boycotté dans Sugar au début c’était à cause de ça, ou des cheveux longs et de faire des catchs, à cette époque. (…) Comme quand tu faisais un benihana, on te mettait tout de suite dans la catégorie ‹ bourrin › ! »
Les étiquettes, le skate a toujours aimé en coller. Pendant que Yann se laissait pousser les cheveux jusqu’au cul, Thibaud Fradin se faisait appeler « catch boy » [voir interview dans À Propos #8] parce que ça l’amusait de faire des grabs. Tous les deux ont fini par céder à la pression sociale pour rentrer dans le moule, et devoir s’assumer. Car même en faisant tous les efforts du monde, le passé vous rattrape toujours. Yann Garin : « Je me suis forcé. Je me suis entrainé. Je me disais : ‹ ok, je vais jusqu’au spot en normal › et petit à petit, c’est venu. Après, je revendiquais le fait que je poussais en normal quand j’étais en switch, comme Mariano dans la Mouse ! (…) Mais aujourd’hui, mes prises d’élan c’est toujours une galère, j’ai toujours le pied arrière sur la board en premier, et plein de gens me le font encore remarquer ! Et je tiens toujours la board de la main gauche alors que je suis goofy ! » Mais le comble du mongo, c’est qu’il est toléré en switch…
*Il paraîtrait que Shaun White l’est mais vu qu’il ne fait que de la rampe et du snowboard, impossible de le voir pousser. Et peut-on dire qu’il est pro en skate ?
Article paru dans A Propos #11