Qu’est-ce qui fait que les vrais skateshops, ceux avec pignon sur rue et un type qui sait qui est Mark Gonzales derrière le comptoir, se raréfient ? A Lyon, Wall Street résiste. Entretien avec Benoît Gonsolin, aussi connu sous le nom de ‚Ben de Wall‘.
Feeble 270 au magasin ! Photo : Loïc Benoit
Depuis quand est ouvert le shop ?
Ben : Septembre 1998.
Tu te souviens du premier jour ?
Pour l’ouverture, un peu par hasard, le team DVS était dans le coin, avec Yves Goyatton ! Donc c’était drôle de voir Yves avec Sean Sheffey, Daniel Castillo, Keenan Milton… ça tombait bien pour nous !
Qu’est-ce qui a changé entre ce jour-là et aujourd’hui ?
La première chose, c’est que maintenant, je sais gérer un skateshop ! Parce que quand on a ouvert, je ne savais pas vraiment comment ça marchait… On (avec Michael Plasse AKA Jason – NDLR) a ouvert avec des bouts de ficelles, il n’y avait pas grand-chose dans le magasin, pas beaucoup de boards, peu de chaussures et peu de vêtements mais au final, ça a marché. Donc ce qui a changé, c’est qu’il y a beaucoup plus de choses dans le shop ! Après, c’est sûr qu’on a eu des belles années avec des bons agios à payer aux banques mais ça va mieux aujourd’hui. Notre façon de travailler a changé aussi, les marques ont changé, on travaille plus de petites marques que des grosses, aujourd’hui.
„ÇA NOUS A PRIS UN MOMENT POUR COMPRENDRE CE QUI NE MARCHAIT PAS, ACCEPTER QU’ON AVAIT VIEILLI“
J’imagine qu’en 1998, votre fournisseur principal était V7…
Exactement, environ 90% des planches venaient de chez V7 mais aujourd’hui, c’est encore beaucoup eux qui nous fournissent en trucks, en accessoires… mais c’est vrai que pour les boards, c’est différent. On a aujourd’hui beaucoup de marques européennes avec des prix moindres, et des meilleures marges pour nous… (…) Même si Lyon est une ville qui a de l’argent d’une manière générale, entre une planche américaine à 80 euros et une européenne à 50 ou 60 euros, le kid a vite fait son choix.
Quelles sont les marques qui se vendent le mieux au shop, aujourd’hui ?
Les marques françaises, européennes et lyonnaises. Cliché était notre marque numéro un… Après, on a Antiz et Blaze qui se vendent bien, les boards WallStreet, Polar, Magenta, devant les marques américaines.
Il n’y a pas eu un moment où le shop a failli fermer ?
Oui, ça nous a pris un moment pour comprendre ce qui ne marchait pas, accepter qu’on avait vieilli, comme beaucoup de skateshops… Donc on a pris du recul et on s’est mis un coup de pied dans le derch’ pour prendre d’autres décisions…
Antoine Bellini et Axel Bourg, ‚Turn on Wall Street‘, 2005
Lesquelles ?
Déjà, on a fait le ménage dans les grosses marques qui se sont mis à vendre à fond sur Internet ou à travailler avec des sites qui ne respectent pas forcément les prix, surtout avec des ventes privées ou tu trouvais des t-shirts à 10 euros quand on les vendait 35… Et puis certaines marques ont ouvert des magasins propres dans les grandes villes, donc on a arrêté la plupart des marques de vêtements… En même temps, on s’est concentrés sur les petites marques comme Polar et Magenta qui font aussi beaucoup de vêtements et qu’on est les seuls à vendre.
Vous avez un webshop ?
Je crois qu’on est l’un des seuls magasins qui n’a pas de site internet ! Quand je te dis qu’on est des dinosaures ! Ah ah ! On ne l’a jamais fait parce qu’on n’avait pas envie de mettre 5000 ou 10 000 euros dans un site sans être sûr du résultat mais c’est vrai qu’on y réfléchit depuis quelque temps ! On a plus misé sur Instagram récemment, c’est gratuit, c’est marrant à utiliser… mais c’est vrai que ça ne rapporte rien, c’est plus une vitrine en ligne…
Et j’imagine qu’on vous sollicite sur Instagram…
Oui, d’une manière générale, (la vente sur) Internet, c’est un boulot qu’on ne sait pas faire ! C’est comme tout, c’est un métier, mais on y vient doucement… Instagram a beaucoup changé la donne des shops : on est aujourd’hui visible par le monde entier et on a constaté que quand on poste un produit qu’on vient de recevoir, des gens viennent pour ça dans la journée, donc ça aide.
Combien de skaters dans le team, aujourd’hui ?
Sept : Flo Mirtain, JB, Aurélien Giraud, Mickael Germond, Steeve Ramy, Adrien Coillard, Guillaume Colucci (et Jérémie Daclin). Des pro-models arrivent d’ailleurs… On aimerait faire toujours plus pour le team, un tour est d’ailleurs dans les tuyaux…
Est-ce que le shop est toujours un espace de rendez-vous d’avant la session, un espace social pour les skaters ?
Oui, ça l’est encore. Ça l’était plus quand on diffusait des vidéos de skate et qu’on avait 3 écrans dans le shop, mais c’est vrai que tout à changé, les kids ne lisent plus les magazines, ne regardent plus les vidéos en entier et ne viennent plus au shop pour ça. Mais ils viennent encore pour autre chose, on a la chance d’être juste à côté d’Hôtel de ville donc ils viennent toujours pour changer un roulement par exemple. Et puis il y a aussi des mecs forts qui trainent au shop, donc ça permet aux kids de pouvoir échanger avec eux. Au-delà de ça, on s’efforce de faire des avant-premières dans le magasin ou ce genre d’évènement pour garder de la vie au shop. Et puis grâce à Jérémie, on a installé dans le shop un petit quarter et on se fait régulièrement des sessions après la fermeture ; même les riders d’autres shops viennent skater avec nous ce qui crée un bon lien entre les skaters.
Pivot fakie. Photo : LB
Les gens se déplacent ?
Oui, tout le temps, mais il faut se donner du mal !
Est-ce que vous avez beaucoup de concurrence ?
Oui, il y a encore au moins 4 shops de skate à Lyon : ABS, Advice, Namasté et nous, et après il y a les magasins Element, Volcom, Carhartt, Addicted, deux Vans stores, donc ça fait pas mal de monde !
Comment tu vois le shop dans dix ans ?
C’est une super bonne question ! En 20 ans, le business a vraiment changé. Nous, on a la chance d’être dans une grande ville, mais c’est vrai que dans les villes de taille moyenne, les centre-villes sont désertés à cause des centre commerciaux donc c’est difficile de répondre, j’espère que le contact humain restera, que les gens trouveront toujours qu’acheter une board, c’est plus fun dans un shop que sur internet ! Je ne sais vraiment pas si on sera toujours ouvert, mais on fera toujours des slappys avec nos potes !
Entretien réalisé à Lyon le 27 février 2017. Sur le même thème : Official.