Après la fausse interview du mois dernier, voici le premier volet de la série promise consacrée à d’anciens team-managers, un métier en voie de disparition… Aujourd’hui : Franck Barattiero, dont on peut également apprécier les paroles sages ICI.
Shove it heelflip, 2001. Photo : Benjamin Deberdt
Comment tu as fini team manager ? Et c’était pour quelles marques, au fait ?
C’était DVS, Lakai et Matix chez Lapa distribution qui était une filiale de Podium qui gérait ces trois marques aux États-Unis. J’ai terminé chez eux parce qu’avant Aeon, j’avais été sponsorisé par DVS, qui avait été les premiers d’ailleurs à faire un team Europe. C’était les premiers salaires qui arrivaient dans le skate en France et en Europe. A part si tu étais sponso directement par une marque américaine, c’était les premiers à payer, à travers Lapa. À l’époque c’était Shier, Baines, Luy Pa, Vassili, moi… Bref, j’ai commencé par ça et c’est comme ça que j’ai rencontré ‚La Miette‘, qui était le boss de Lapa, et qui m’a sponsorisé. Un peu plus tard je suis parti rider pour Aeon, Lordz, etc. jusqu’au moment où ces marques se sont cassées la gueule. C’est à ce moment-là que j’ai rappelé ‚La Miette‘ qui cherchait un team manager pour la France. On s’est vu, j’ai eu un entretien téléphonique avec Tim Gavin, et à la suite de ça j’ai été embauché.
„IL A FALLU GÉRER AUSSI DES SURFERS, DES WAKEBOARDERS…“
En quoi consistait le boulot ?
Lakai, Matix et DVS étaient trois marques qui communiquaient dans des univers différents. Bien-sûr à la base il y avait le skate mais DVS par exemple sponsorisait aussi du motocross, du snowboard, du surf, du wake-skate… des univers que je ne connaissais pas. Donc il a fallu gérer aussi des surfers, des wakeboarders…
C’était qui les pires ?
Franchement, ça se passait super bien avec tout le monde. Ils comprenaient très bien qu’à part le skate, je n’y connaissais rien donc j’étais clair avec eux, et ils m’expliquaient comment ça fonctionnait. Finalement, les pires, c’était les skaters, mais bon, je savais très bien comment ça se passait. Disons que les plus difficiles, c’était peut-être les skaters, les snowboarders ou les surfers… Les mecs du motocross ou ce genre de trucs étaient très professionnels comparés au skate où les mecs étaient plus à l’arrache. Mais ça c’était uniquement pour DVS. Lakai c’était uniquement le skate, et Matix skate et surf. Tout ça sur quatre pays, France, Espagne, Belgique, Portugal. Donc ça faisait une quarantaine de riders en tout à gérer, pas mal de boulot !
Tu organisais les tours ?
Oui, et il y avait une grosse partie dotation. Disons que c’était assez fouillis quand je suis arrivé, donc il a fallu tout réorganiser, recruter, et aussi se séparer de certains gars qui n’étaient plus actifs du tout…
Tu as dû virer du monde ?
J’ai dû faire un petit ménage en arrivant. C’était pas la partie la plus cool !
Qui par exemple ?
J’ai dû virer des mecs qui faisaient du windsurf de chez DVS. En skate j’ai dû virer David Rousseau par exemple, qui a arrêté de skater quand il est arrivé à Paris.
Il y avait aussi JP Trioulier, non ?
Oui, mais c’est lui qui a décidé de partir. Et lui était dans le team Europe. Mais j’ai aussi pu prendre des petits gars comme Flo Mirtain chez DVS, William Phan chez Matix… J’ai fait ma petite sauce avec ma vision du skate, les contacts que j’avais. On avait pu prendre Lionel Dominoni en flow team, j’avais réussi à débloquer des salaires pour Boris Proust et Guillaume Dulout… Je pense qu’on avait réussi à faire quelque chose de plutôt cool, que ce soit les tours ou les évènements comme le Lord Of The Line avec Matix… Ça se passait plutôt bien.
Quels étaient les problèmes auxquels tu étais confronté ?
Alors déjà, il y avait un problème géographique. Les trois premiers mois il a fallu que j’aille travailler à Marseille où était basé Lapa. J’avais un petit appart’, je prenais le train le dimanche soir, je bossais toute la semaine à Marseille et je rentrais à Paris le vendredi soir. Donc ça c’était compliqué… Ensuite j’ai pu n’y aller plus qu’une semaine tous les trois mois. Mais le plus compliqué était de travailler de chez moi. C’était un boulot où il y avait beaucoup d’administratif, de travail sur ordinateur qui m’obligeait à rester du matin au soir chez moi. Moi qui avait l’habitude d’être tout le temps dehors à faire du skate et à voyager, je me suis retrouvé d’un coup à ne faire que de l’ordinateur. Pour peu que tu ne sois pas bien organisé, tu peux passer la journée à bosser en pyjama et à bouffer sur ton ordi… Tu peux passer la semaine sans sortir de chez toi !
Et avec les riders, est-ce qu’il y avait parfois des abus sur les tours par exemple ?
Honnêtement, il n’y a pas eu de dérapage, c’était plutôt bien avec Lapa qui nous donnait pas mal de moyens. On était quatre au marketing, c’était très carré, j’avais des avances de frais pour partir en tournée. À la différence de ton team manager virtuel, moi je n’ai pas eu de souci, je n’ai rien eu à avancer ! Si, on va dire que sur les premières tournées, je ne m’étais pas aperçu qu’en tour, il fallait parfois dépenser quelques milliers d’euros en une semaine et qu’évidemment, ma carte bleue de base ne passait plus au bout de deux jours ! Là il avait fallu que je m’organise avec les riders pour qu’ils payent une partie et que je leur rembourse plus tard… Ça m’a pris quelques temps avant que je comprenne qu’il fallait que je prenne une carte Gold !
Les riders comprenaient leur rôle de skater sponsorisé ?
Oui, ils devaient sentir qu’il se passait des choses et que s’ils faisaient ce qu’il fallait, c’était tout bénéf pour eux, même financièrement. Il y avait des bonnes primes-paru, les mecs prenaient 100 ou 200 euros quand ils avaient une photo dans un magazine, on les gavait pas mal en dotation… Je pense qu’on avait créé un cadre au sein duquel les mecs devaient se sentir bien. A l’époque, DVS, Lakai et Matix étaient les marques du moment, et le fait d’avoir un skater comme team manager devait faire qu’il y avait un respect mutuel. Chacun faisait ce qu’il fallait et ça se passait bien. Après, c’est quand-même un travail de baby-sitting, c’est toi qui t’occupes de leurs fringues et de leurs chambres d’hôtel en tour, tu as un rôle de manager.
Ça n’est jamais arrivé qu’un rider, par exemple, emporte avec lui une paire de chill shoes d’une autre marque ?
On faisait en sorte pour que ça n’arrive jamais. C’est arrivé une fois que Guillaume Dulout fasse une photo à New York avec une paire de Vans. Effectivement, ça avait causé pas mal de problèmes, c’était remonté jusqu’à l’Europe… C’est clair que ce sont des choses qui ne se font pas, tu peux porter des autres marques, mais pas passer dans les magazines avec ! Il y a pu avoir ce type de problème, mais c’était très rare.
Lord of the lines, 2008
Si c’était à refaire ?
Je le referai, ça a été la meilleure des transitions pour moi à la fin de ma carrière de pro. C’est une transition lente finalement, d’être team manager. Surtout que moi, j’avais dealé le fait d’être toujours sponso par DVS et Matix au début, ce qui fait que je me faisais moi-même mes colis ! Je partais en tours, une partie de mon travail consistait aussi à être sur le spot, sans avoir à me jeter, donc c’était la meilleure transition, d’autant plus que j’étais salarié en travaillant à distance. Ça s’est super bien passé, j’ai beaucoup appris pendant ces deux ans et demi. Disons que ça m’a permis de mettre un pied dans le monde de la vie active ‘réelle’, sans être bloqué huit heures par jour dans un bureau.
Ça s’est terminé comment ?
La crise. Plus de budget marketing. Les Américains qui coupent tout, jusqu’à fermer cette filiale basée à Marseille, tout transférer en Irlande puis à Londres… Donc licenciement, et il a fallu se re-remettre en question, mais ça, c’est une autre histoire…
Entretien réalisé à Paris le 29 avril 2017.