5 QUESTIONS : FRED D.

Fred est le big boss de Soma. Jusqu’à il y a un an, lui et moi nous partagions ce titre, jusqu’à ce qu’on décide mutuellement d’arrêter le mag. Quelques semaines plus tard, n’ayant pu faire son deuil, Fred décidait d’aller déterrer la bête. Pour moi le mag était enterré trop profondément, et je n’ai jamais cru aux trucs qui ressuscitent. Pourtant trois numéros sont sortis depuis. Alors soit dieu existe, soit je ne servais à rien !

Mise en page 1Soma #39, en shop cette semaine.

[highlight]1_[/highlight]Qu’est-ce qu’il s’est passé avec la couv’ du dernier Soma ?
C’est un coup des mecs de Sugar ! Ils sont prêts à tout… Je plaisante bien-sûr. On s’est débrouillés tout seuls pour envoyer le mauvais fichier à l’imprimerie. L’erreur bête de fin de bouclage. On a envoyé la couv‘ avec la photo en basse définition avec le sentiment du devoir accompli et notre imprimeur n’y a vu que du feu. Il nous a appelé quand le magazine était prêt à être chargé dans le camion, pour nous dire que la photo de couv‘ était un peu „bizarre“… Comme ça coûtait 3000 euros de faire ré-imprimer la couverture, on s’est dit que finalement, elle était très bien comme ça avec tous ces petits pixels… C’est pas la première fois qu’on fait une connerie, mais là on a fait fort. J’osais même pas l’annoncer à Davy Van Laere qui a fait la photo. Finalement, il l’a mieux pris que ce que je pensais. Il est surtout emmerdé pour Jonathan Thijs, c’était sa première cover…

Fred_Greno-complyThe Greno-comply ! Barcelone, 2009

[highlight]2_[/highlight]Tu m’as souvent dit que tu avais détesté les années 90. Qu’est-ce qui t’a posé problème, pendant cette décennie ?
Il y a aussi des tas de trucs qui m’ont plu dans les années 90, mais c’est vrai que dans l’ensemble, c’est pas la période que j’ai préféré. Je parle surtout de la période, assez courte finalement, des baggy pants, capotes à roulements et pressure flips. J’ai détesté le fait que tout le monde se prenait pour un gangster et que la tolérance n’était pas vraiment une priorité chez les skaters. Si tu ne rentrais pas dans le moule, à savoir se prendre pour un membre du Wu-Tang, tu savais qu’on allait se foutre de ta gueule. C’était la foire au talk-shit et à l’excès „d’attitude“, et j’en garde pas un très bon souvenir. Je me souviens qu’à Paris, c’était la guerre entre les gars du Dôme, ceux de Bastille et ceux de je ne sais où. Les mecs s’inventaient des embrouilles pour avoir l’impression de vivre dans un clip de rap. À Lyon, il y avait la clique des mecs d’Hôtel et si tu n’en faisait pas partie, t’étais vraiment un bouseux… Ce sont les deux exemples que j’ai en tête, mais c’était partout pareil. C’était vraiment ridicule. Ça ne m’a pas empêché de skater et de continuer à aimer ça, mais je garde un goût amer de cette période. Je n’ai aucune nostalgie de l‘EMB, Pier7, le World park etc. Mon truc c’était d’aller vite, de faire des gros ollies et des grinds les plus longs possibles, donc je me sentais un peu seul… Quand Underachievers est sortie, j’ai vécu ça comme une délivrance. Enfin quelque chose qui me plaisait vraiment ! Ça faisait du bien de pouvoir à nouveau s’identifier à quelque chose. En même temps, quand je vois comme je galère encore aujourd’hui avec les flippy tricks, je me dis que j’aurais mieux fait d’essayer de rentrer dans le moule à l’époque, ça m’aurait fait du bien…

Mais la période gangster Bastille-Dôme-HDV, c’était bien longtemps après les big-pants-small-wheels… Moi dans ma banlieue, à cette époque je n’avais pas du tout ressenti ça, au contraire, quand tu voyais un mec en baggy tu étais tout de suite son pote… Par contre, je suis d’accord avec toi sur les histoires de tolérances, mais j’ai eu l’impression que c’est arrivé plus à la fin des années 90 qu’au début…
Oui, je crois que je mélange un peu tout, j’ai du mal avec les dates, en tout cas, c’était vraiment naze cette époque gangsters/racailles à deux balles.

[highlight]3_[/highlight]Qu’est-ce qui fait que Grenoble est une mine de skaters talentueux ? La ville est plus connue pour son manque que sa richesse de spots…
Le fait qu’il y ait toujours eu des bons skaters à Grenoble est un truc qui m’étonne encore un peu aujourd’hui, parce qu’effectivement, on n’a jamais trop été gâtés niveaux spots et que pendant longtemps, il fallait se mettre un bon coup de pied au cul pour aller skater. Mais il y a pire. Et puis, si tu regardes bien, il y a eu et il y a toujours de très bons skaters qui viennent d’endroits improbables. C’est vrai qu’on a toujours eu une assez grosse scène skateboard. Ça a commencé avec Mimi (Boissonnet) qui a été un bon moteur pour toute la scène. Puis il y a eu des gars comme Renaud Despierre qui est moins connu, MDV qui a été un sacré meneur de troupe, puis Charles Collet, Damien Marzocca, Jutix, Max Génin, Tony Hawk et j’en passe. Aujourd’hui encore, il y a une sacrée bande de gars, ils sont incroyables à voir… Mais c’est un peu différent, on a des vrais skateparks maintenant donc c’est moins un exploit de rester motivé. Mais attendez quand même avant de venir en vacances ici. J’ai croisé un mec de Paris l’autre jour, qui fait ses études à Grenoble, il me disait que depuis qu’il était là, il ne skatait plus trop, à cause des spots…

Fred_FontaineFS five-o dans le pool qu’il a dessiné lui-même, à Fontaine (38). Photo : Loïc Benoit

[highlight]4_[/highlight]La presse est en plein bouleversement et le skate n’y échappe pas. Le papier coûte cher, alors qu’un site internet n’a pas tous les frais récurrents (impression, distribution). Notre salut est-il sur internet ?
J’aime croire qu’il y a encore un avenir pour le papier, même si aujourd’hui, les marques n’ont plus autant besoin des magazines pour assurer leur promo qu’auparavant. Il y a encore peu de temps, les magazines papier étaient le meilleur moyen d’exister médiatiquement, mais ce n’est plus le cas. Maintenant, les marques disposent de tout un éventail d’outils comme Facebook, Instagram, etc, qui ne leur coûte pas un rond, ce qui les change pas mal par rapport aux prix élevés des pages de pubs… Donc ça devient difficile pour nous de financer les (énormes) coûts d’impression et de distribution. Pourtant, et là je parle en tant que simple skater, pas en tant que gars qui essaye tant bien que mal d’éditer un magazine : je n’arrive pas à vraiment me passionner pour ce qui se fait sur internet. Tu vois „A Brief Glance“ par exemple, je ne le regarde jamais, alors que j’aime bien le mec qui fait ce mag et que je sais qu’il fait du super boulot. S’il y avait une version papier, j’adorerais l’avoir dans les mains, mais là… Et pareil pour les Berrics, le site Thrasher, Jenkem, etc, ils ont beau avoir du très bon contenu, ça ne m’intéresse pas plus que ça. Quand j’ai un nouveau mag en main par contre, je suis à bloc (pas n’importe lequel non plus). On nous bombarde de clips en permanence sur le net, une part‘ géniale est chassée par une vidéo encore plus géniale trois jours plus tard, et entre temps tu t’es bouffé des dizaines de clips que tu as instantanément oubliés après visionnage. Tout va trop vite. Alors qu’avec un magazine, tu prends le temps de lire, d’analyser les photos, les pubs. Tu le lis en plusieurs fois, et tu le relis des mois plus tard quand tu retombes dessus par hasard… Pour moi, ça n’est pas comparable et je sais que beaucoup sont aussi attachés aux mags papiers que moi, et pas que des viocs techno-sceptiques. C’est très bien internet, tout y est accessible en un clic, mais c’est quelque chose qui vient en plus, ça ne remplace pas le papier. L’idéal serait d’avoir un site qui rapporte suffisamment pour financer un magazine papier… Mais ne faire que de l’internet, ce serait dommage à mon goût.

fredd_BaselWallride fakie, Black Cross Bowl. Photo : Bertrand Trichet

[highlight]5_[/highlight]Quel(s) souvenir(s), bon(s) ou mauvais, tu gardes de notre collaboration ?
Très honnêtement, plus le temps passe, plus je ne retiens que des bons souvenirs. Quand on montait le mag chez Da à Paris, puis à Biarritz. Les Tours sans Fin où je suis venu. Les contests, tous les trucs qui me sortaient de mon bureau. Les mauvais souvenirs, c’est quand ça finissait par péter parce qu’on est trop différents et qu’en bossant à distance (toi à Paris, moi à Grenoble) il y a toujours un moment où ça coince. Après, ça ne regarde pas grand monde et puis on n’a rien de vraiment croustillant à raconter, on ne s’est jamais mis sur la gueule, ni même fait de coups bas. On aurait dû se foutre sur la gueule, ça aurait fait des trucs à raconter…

Entretien réalisé par mails interposés le 1er décembre.