Pierre-André est Français, ancien freestyler pro, créateur et toujours patron de Sole Technology (Es, Etnies, Emerica, Thirty Two, Altamont). Idéaliste et écolo dans l’âme, il est convaincu qu’il est possible de changer le monde, ou du moins certaines habitudes, au risque de passer pour un fou. Parce qu’au pays de Donald Trump, c’est le business avant tout.
Tu fais toujours du skate ?
PAS : J’en fais beaucoup moins qu’avant, parce que bon, j’ai beaucoup de responsabilités, mais oui. J’essaye de tester toutes les chaussures moi-même.
Et tu as parfois des mauvaises surprises ?
Oui… Non… Parfois les premiers échantillons ne sont pas terribles ! Les riders les testent aussi, mais moi j’aime bien les essayer, c’est un truc qui me passionne, on fait ça pour qu’elles soient skatées ces chaussures, pas juste pour les mettre en vitrine ! Pour moi, l’esthétique et la fonctionnalité sont aussi importantes, il faut que ça ait un sens. Les skateshoes qu’on fait représentent nos valeurs, chaque détail, chaque action est important parce que ça représente le skate. Il faut qu’on sente la différence entre une chaussure de skate et une autre.
Souvent, les chaussures de skate ne sont pas très confortables, il faut que ce soit plat…
On me demande souvent ce qui différencie une chaussure de skate d’une autre, alors je dis que c’est plus durable, ça absorbe beaucoup de chocs et on sent bien le sol, c’est fait pour sentir la planche, pas pour courir.
Le compromis board-control et confort doit être compliqué à trouver…
Oui, c’est hyper compliqué parce qu’il faut absorber les impacts, donc on fait beaucoup de recherches…
Vous avez toujours le STI (Sole Technology Institute) ?
Oui, mais il est en Asie maintenant. On fait toujours beaucoup de recherche sur les impacts, la durabilité… C’est pour ça qu’on a commencé à travailler avec Michelin sur les semelles, comme celle qu’on a sur la Marana. On a étudié les pneus de voiture, comment ils sont dessinés pour essayer d’adapter ça au skate…
„LE CÔTÉ ÉCOLO A TOUJOURS EXISTÉ DANS LE SKATE“
C’est toi qui es allé voir Michelin ?
Ce sont eux qui sont venus vers nous. Ils étaient intéressés de travailler uniquement avec Etnies pour le côté authentique. Ça nous a ouvert à beaucoup de choses. On avait toujours travaillé sur la durabilité, l’impact et le boardfeel, mais pas forcément sur la traction, quand on pousse, qui est en fait aussi hyper importante. Par exemple, quand tu es devant un handrail, tu n’as parfois que très peu d’élan et tu ne peux pousser qu’une ou deux fois, donc il faut que ça accroche, comme une voiture ! Donc on a fait ça avec la Marana, qu’on a développé avec Sheckler et Chris Joslin. C’est un truc auquel on n’avait jamais pensé avant. La forme de la semelle est basée sur un pneu de rallye qui accroche plus dans les virages.
Sole Tech a longtemps été une des seules boites du skate à essayer de réduire son empreinte écologique. Déjà, à la fin des années 90, tu avais lancé Sheep qui était sans cuir, et donc plus « développement durable », au moins dans le respect de certaines valeurs. Comment est née cette marque et comment est-elle morte ?
Je pense que le côté écolo a toujours existé dans le skate. Quand on a commencé avec Etnies, on voulait faire des chaussures qui durent, et la longévité, c’est la base de l’écologie. Automatiquement, un skater aura envie que ses chaussures durent le plus longtemps possible, parce que c’est ce qui s’use le plus vite, dans le skate. Au début d’Etnies, on utilisait des gommes Indy-Good Year 500 qui étaient utilisées pour la Formule 1… Pour en revenir à Sheep, il y avait des skaters dans le team Etnies qui étaient végétariens comme Rick McCrank et Ed Templeton, qui voulaient des chaussures sans cuir. Donc on a lancé Sheep. Ca a duré environ deux ans, mais on s’est aperçu qu’on avait trop de marques, il se passait trop de trucs, donc il a fallu en arrêter une. On venait de lancer Emerica et j’avais aussi aidé à lancer DC. Damon Way et Ken Block étaient venus me voir pour les aider à faire des chaussures… Avec Etnies, Es, Emerica, Sheep, 32 en plus, il a fallu qu’on se calme.
J’imagine que Sheep n’était pas celle qui marchait le mieux…
Si, ça marchait, c’était en croissance, mais on n’était qu’une dizaine à bosser sur tout ça en même temps… Mais l’idée était de lancer diverses marques de shoes pour différents types de skaters, par les skaters. Pas par une autre industrie qui essayerait de donner au skate une autre direction. Laissons le skate aux skaters. C’est comme ça que Sheep est né. D’ailleurs, on relance quelques modèles pour Noël 2018.
Avec la mode vegan, c’est l’occasion de surfer sur cette vague, non ?
Oui, mais on ne voulait pas forcément relancer la marque, ce serait beaucoup de boulot, mais juste un ou deux modèles, on s’est dit que ça serait drôle. Et Sheep a toujours été un truc drôle.
„ON VOULAIT SE MOQUER DES GENS QUI COPIENT LE SKATE“
Ici, en Europe, en tous cas pour moi, à l’époque, le fait que ce soit vegan n’était pas forcément évident…
Il n’y avait pas que des modèles sans cuir. C’est vraiment difficile avec le skate de faire des modèles uniquement en toile. L’idée était surtout d’avoir une vision complètement différente des autres marques qui étaient très sérieuses. Là, avec le ‘sheep’, on voulait faire un truc pour rigoler…
Le message du mouton est un message fort…
Oui, on voulait se moquer des gens qui copient le skate.
Aujourd’hui je comprends mieux le message de la marque qu’à l’époque.
C’était très précurseur, avec des gens comme Rick McCrank ou Ed Templeton qui ont toujours été très en avance.
Sheep, Life of Leisure, 1997
Par contre, marketing et écologie sont deux choses qui s’opposent, je pense. Comment est qu’on parvient à trouver un équilibre entre ces deux notions ?
C’est un peu comme le skate, on est toujours en train de trouver cet équilibre. C’est pour ça qu’on n’a pas trop parlé d’environnement, au début des années 2000. Je ne voulais pas que ça devienne un argument marketing. Je voulais que ça soit authentique, qu’on n’en parle pas trop. Je voulais surtout qu’on s’implique vraiment dans le skate, et qu’on parvienne à transformer la ville pour qu’elle supporte le skate. J’ai réussi à m’associer avec la ville de Lake Forest en Californie, qui est devenue pro-skate. Aujourd’hui ils font des magazines de quinze pages dont cinq sur le skate !
Tu peux skater dans la rue tranquillement à Lake Forest ?
Oui, mais il y a surtout le skatepark dont ils peuvent mesurer le succès : les jeunes s’y retrouvent, partagent leur passion, etc. Ça a créé un phénomène dans les villes alentour qui se sont équipées aussi d’un skatepark sur l’exemple de celui de Lake Forest qui est une toute petite ville, alors qu’il y en avait des beaucoup plus grosses qui n’arrivaient même pas à faire quoi que ce soit… En plus, à l’époque, c’était le plus gros skatepark au monde ! J’ai voulu montrer que ce n’était pas une question de quantité de skaters mais de leadership. Parce qu’il y a des skaters partout ! Donc j’ai déplacé mon entreprise de Costa Mesa à Lake Forest. La ville est sortie de terre en 1992, on s’y est installé en 1998 et c’est aujourd’hui une des villes qui se développe le plus en Californie, en partie grâce au skatepark qui attire beaucoup de monde. Ca démontre que le skate est porteur, que ça peut amener à plein de choses. Bref, on a fait le skatepark et j’ai ensuite commencé à me demander ce que je pourrais faire d’autre. Je suis allé à des conférences sur l’environnement à Santa Monica grâce à des amis qui m’en parlaient, et je me suis aperçu qu’on n’avait qu’une seule planète pour skater ! Donc on a tout intérêt à ce qu’elle soit en bonne santé, c’est quand-même un bon spot ! Alors en me demandant quelles seraient les décisions importantes pour le nouveau millénaire, j’ai pensé que c’était ça le truc important. Et dans ces conférences, tout le monde parlait de survie de l’humanité mais personne ne faisait rien. Je voyais des grosses sociétés qui avaient trop peur de perdre leurs clients en prenant certaines décisions, et moi je me disais que si on n’avait plus de planète, on ne pourrait plus faire de skate ! Ah ah ! C’est là que j’ai compris qu’il y avait peut-être une différence entre les skaters et les autres : quand tu es au bord du bowl et que tu dois dropper pour la première fois, tu y vas malgré les risques. Donc je me suis dit qu’il fallait qu’on se lance là-dedans et peut-être que ça en inspirerait d’autres…
„ET PUIS UN JOUR, JE REÇOIS UN COUP DE FIL DE LEONARDO DECAPRIO“
Sans faire le lèche-cul, c’est vrai que vous n’êtes pas tombés dans le greenwashing. Vous avez un peu utilisé l’argument écologique d’un point de vue commercial, mais j’imagine que c’est compliqué de faire un produit de consommation courante tout ayant une direction écologique…
Exactement, je ne voulais pas faire de marketing, mais démontrer une responsabilité en tant qu’entreprise. Au début les gens au sein même de Sole Technology ne comprenaient pas. Alors quand il a fallu construire les nouveaux bureaux, j’ai voulu faire un truc écologique pour leur montrer que ce n’était pas juste un truc de hippie ! On a beaucoup de choses à apprendre de la nature, et donc l’avenir est là-dedans.
Oui, mais ça va souvent à l’opposé de la logique économique…
Oui. J’ai dessiné un building, qui a d’ailleurs une forme de skate. Le bâtiment est à base de matériaux recyclés, il y a 616 panneaux solaires sur le toit… Les architectes ne comprenaient rien, personne n’avait fait ça sur Orange County même s’il y en avait quelques-uns sur Los Angeles. On me prenait pour un illuminé ! J’ai montré mes plans à mon équipe en leur disant « voilà ! Ça c’est l’avenir ! », et ils ne comprenaient toujours pas ! Ah ah ah ! Et puis un jour, je reçois un coup de fil de Leonardo DiCaprio qui me demande de produire un film sur l’environnement…
Comment est-ce qu’il est tombé sur toi ?
Il avait entendu parler de moi par de gens passionnés par l’environnement, et il voulait faire un film indépendant, ne pas dépendre des studios Warner Bros, etc. On lui avait dit qu’il y avait « un français à Lake Forest dont l’entreprise fonctionne à l’énergie solaire et qui réduit le CO2 sur la production des chaussures, des boîtes… »
Melon au Dôme, 1988. Photo : DR
Ah ok, c’est pas uniquement sur la consommation du bâtiment…
Non, on avait fait une étude écologique de la fabrication jusqu’à livraison dans les magasins. On voulait voir d’où venait notre CO2, on a tout étudié. On lui avait parlé de ce français fou, et il m’a appelé. Je me suis assuré que c’était une demande authentique en lui posant des questions, pour être sûr que ce n’était pas un truc marketing ou un d’image, mais il était vraiment concerné. Sa mère est Allemande, assez hippie en fait, à l’époque, donc il a toujours été près de la nature. On a fait le film (The Eleventh Hour), et on l’a montré à Cannes en 2007. Ensuite je l’ai montré dans mon entreprise, et c’est là qu’ils ont compris. D’un seul coup, ils ont vu ce qu’il se passait, ce qui risquait de se passer et les solutions qu’on pouvait amener. Là ça a changé la façon de faire les choses. Dans le film, il y a Stephen Hawkins, Gorbatchev, des têtes pensantes qui parlent d’environnement et à un moment une femme dit dans le film qu’on a la possibilité de voter tous les jours. A chaque fois qu’on achète un truc, on approuve quelque chose. Et c’est ça qui dirige les entreprises. Même les gouvernements. Je trouve que c’est pas mal comme idée. Ensuite, je suis allé au Costa Rica pour visiter des complexes hôteliers dont beaucoup sont des « eco resorts ».
Le Costa Rica est assez en avance là-dessus.
Oui, j’ai voulu aller voir comment ça fonctionne, si on pouvait s’en inspirer. Certains resorts avaient une empreinte carbone neutre, c’était incroyable. Un de ces resorts m’a montré comment ils chauffaient l’eau pour les douches : en récupérant la chaleur dégagée par un mélange de terre et d’excréments de cochons. Un truc simple et naturel pour chauffer une centaine de douches par jour. J’ai halluciné… Je m’étais fait inviter par le président du Costa Rica, Oscar (Arias Sanchez), qui a été prix Nobel de la paix et qui a démantelé toutes les armées du pays. Donc je suis allé chez lui, et je lui explique que mon but, c’est d’être neutre en carbone en tant qu’entreprise, en 2020. Il me répond que lui, il a le même but, mais pour tout le pays ! Incroyable ! Alors je lui demande : „mais comment vous allez faire ça ?“ Et il me répond qu’il va me présenter à son ministre de l’Environnement. Alors je me suis retrouvé à dîner avec le ministre où il me fait une projection sur le mur de leurs initiatives dont la première était de planter un arbre et demi par personne, chaque année, de façon à réduire le CO2 et créer de l’oxygène. Donc j’ai commencé à réfléchir au film, à cette histoire de vote de tous les jours, et aux arbres qui absorbent le CO2 tout en créant de l’oxygène pour qu’on respire mieux, et qu’on se sente mieux quand on skate ! Alors on a décidé de faire un programme avec une des chaussures qui s’appelle la Eco-Jameson faite avec des caoutchoucs recyclés, etc. mais surtout, à chaque paire achetée, un arbre est planté au Costa Rica.
„JE ME SUIS TOUJOURS SENTI SEUL, DANS LE SKATE“
Concrètement, comment est-ce qu’on met ça en place ?
J’ai rencontré une dame qui avait déménagé de Californie au Costa Rica vingt ans auparavant, dans le but de planter des arbres. Une « tree farmer ». Je n’avais jamais entendu parler de « tree farmers ». Elle travaillait pour une ONG et était en contact avec les indiens Maleku qui vivent des arbres, en fait. En vingt ans, elle avait déjà planté 37 000 arbres. J’ai trouvé ça génial et authentique, alors j’ai amené le team pour planter des arbres ensemble et aider le Costa Rica à être neutre en carbone le plus vite possible. La première année, on a planté 37 000 arbres ! En un an, on a doublé le nombre d’arbres qu’elle avait réussi à planter jusqu’ici.
Donc à la fin de l’année, tu comptes le nombre de paires vendues et tu plantes vraiment exactement le même nombre d’arbres ?
Oui. Jusqu’ici on a planté 1,7 million d’arbres, au Costa Rica et au Brésil. L’intérêt de planter des arbres dans les rainforests, c’est que ces arbres poussent jusqu’à deux mètres par an, donc on absorbe plus de CO2, on crée plus d’oxygène et on limite le changement climatique.
Tu ne te sens pas un peu seul, parfois, dans cette industrie ?
Si, mais de toute façon, je me suis toujours senti seul, dans le skate, d’une certaine façon. Quand je skatais dans ma banlieue, dans le Val-de-Marne, je me suis vite retrouvé tout seul à skater dans des zones industrielles… Aujourd’hui c’est différent, il y a des skaters partout et je me suis aperçu que tout était une question d’éducation. Au début les gens ne comprenaient pas et c’est pour ça qu’on a fait le film avec Leonardo. Aujourd’hui on n’est plus dans la phase « qu’est-ce que c’est », mais « qu’est-ce qu’on fait ».
Il y a encore beaucoup de sceptiques.
Il y a toujours des gens sceptiques sur tout mais je pense qu’on a beaucoup évolué. Les jeunes skaters sont beaucoup plus conscients que notre génération parce qu’ils ont grandi avec ces idées-là.
Mais en tant qu’entreprise, faire attention à l’environnement, c’est se mettre des barrières au développement, bien souvent, non ? Certains procédés coûtent plus cher, j’imagine que c’est compliqué à mettre en place…
Ça prend du temps… Quand j’ai vu tous les cartons en Asie qu’on utilisait je me suis dit qu’on ne pouvait plus les jeter, qu’il fallait les recycler. Pour moi ce n’est pas une question de compétitivité mais de logique. On aime le skate, les skaters, on se préoccupe de leur futur, c’est ça qui me motive. Quand j’ai commencé le skate, j’ai tout de suite vu que c’était un truc où on pensait différemment, peu importe le niveau social, et aujourd’hui pour moi c’est naturel de faire les choses différemment. Bien-sûr ça coûte du temps et de l’argent mais pour moi c’est dans l’ADN du skate. En savant ce qu’il se passe, je ne pourrais pas ne pas le faire.
Pourtant, à travers notamment les décos de planches, le skate a toujours véhiculé des messages forts comme des messages politiques, sur le lobby des armes, la religion, etc. mais personne ne s’est vraiment attaqué à ce sujet-là. Pourquoi à ton avis ?
… Je pense qu’il y a des entreprises motivées par l’argent plus qu’autre chose…
Oui mais quand tu fais une board qui se moque de la religion, tu ne fais pas ça uniquement pour vendre des boards, tu fais ça pour dénoncer un truc. Sur l’environnement, personne n’en parle…
Je ne sais pas… Des gens ont essayé de faire de planches en bambou, mais ils n’y sont pas vraiment parvenus. Mais je pense qu’il y a encore des solutions avec le bambou parce que ça pousse très très vite, et qui a une flexibilité particulière. Je suis sûr qu’on pourrait faire des skates qui pourraient aider à faire des ollies plus haut ! Mais bon, il y a quand-même des gens intéressés par l’environnement dans le skate. Beaucoup, même.
Tu fréquentes toi-même d’autres entrepreneurs qui sont sensibles à ça ?
Oui, j’en rencontre souvent mais ils n’ont pas forcément la dimension qu’on a avec Etnies. Ce sont surtout des nouvelles marques, justement des gens de cette génération qui ont intégré ça parce que c’est l’avenir. Et il y en aura plus parce que c’est complètement logique. Il y avait beaucoup de raisons de ne pas le faire, mais il n’y a aucune raison de dire que c’est négatif pour les gens.
Pourtant, aujourd’hui je trouve que le sujet du réchauffement climatique, qui s’accélère de plus en plus, dont on entendait beaucoup parler il y a quelques années, a plus ou moins disparu du débat public, avec des gens comme Trump qui nient tout ça…
C’est vrai… Je pense que c’est parce qu’on est entré dans une phase de leaders qui sont juste fous, qui détruisent ces valeurs et rendent le système chaotique. Les gens sont paniqués, les informations partent dans tous les sens et on ne peut plus se raccrocher à rien. En perdant toutes ces valeurs, on a tendance à faire des choses moins importantes. Mais je trouve qu’il commence à y avoir beaucoup de réactions. Regarde les manifestations qu’il y a aux États-Unis, il n’y en a jamais eu autant. Je pense qu’on va revenir à des choses qui ont du sens.
„AUJOURD’HUI C’EST DANS LA CONSCIENCE DES GENS“
Tu restes optimiste ?
Oui, c’est pas parce qu’on loupe une figure qu’on ne peut pas la faire !
Ah ah, c’est marrant comme tout peut être une analogie avec le skate.
Oui, le skate est un truc incroyable. Comme je disais plus tôt, c’est un équilibre entre les choses. Il y a une philosophie importante dans le skate, une philosophie de vie. Il y a beaucoup de gens qui ont par exemple des déséquilibres dans leur famille et qui essayent constamment de s’équilibrer. Quand on tombe on se relève, c’est vraiment ce qu’il se passe dans le skate tous les jours !
Après les bureaux et le film qui commencent à dater, aujourd’hui, quels sont les projets ?
On va parler plus de ce qu’on fait avec les forêts. A l’époque je ne voulais pas trop en parler, alors qu’aujourd’hui c’est dans la conscience des gens. Je ne voulais pas que ce soit du marketing, aujourd’hui c’est dans l’évolution des choses. Mon fils de neuf ans me donne des leçons !
Après, il est à bonne école, aussi…
Moi je ne lui parle pas du tout d’environnement ! Ca vient de l’école, je lui montre ce que je fais mais je ne lui impose rien. A l’école, ils sont vraiment sensibilisés à ça. Et c’est la même chose avec ma fille. Donc je pense que c’est plus naturel, maintenant. Et il faut montrer que c’est possible de faire des choses parce qu’on pense souvent que c’est impossible, à tous les niveaux. Je me souviens de cette figure, le impossible (qui n’avait pas encore de nom – NDLR), je ne pensais pas que c’était possible de faire un truc comme ça ! J’ai vu Rodney Mullen le faire, et ensuite tout le monde le faisait ! Il faut juste des leaders, que 10% des gens s’y mettent pour que les 90% suivent.
Pas sûr que ce soit si simple…
Non, ce n’est pas si facile mais c’est quelque chose que j’ai vérifié assez souvent. Regarde le skatepark à Lake Forest. Au début, les autres villes ne voulaient pas entendre parler de skatepark. On a fait celui-là et toutes les autres ont suivi.
Etnies, High 5, 1995
Les skaters du team, ils s’impliquent ?
Oui, par exemple, Ryan (Sheckler) m’a dit que le voyage au Costa Rica était l’un des meilleurs voyages qu’il a fait. Ca l’a touché, se retrouver avec les indiens Maleku qui s’habillent avec des feuilles d’arbre, qui ont des fortes traditions de partage, etc., c’était une vraie tribu, et c’est de là que vient Etnies : une tribu de skaters passionnés par le skate.
Ça ne doit pas être facile d’impliquer des skaters… McCrank et Templeton avaient des idées très claires et se motivaient pour faire avancer les choses, aujourd’hui c’est plus difficile ?
Aujourd’hui c’est plus difficile parce que l’industrie (du skate – NDLR) est plus contrôlée par des gens qui viennent de l’extérieur et c’est moins facile d’être différent parce qu’on ne rentre pas dans des cases…
Je suis bien d’accord avec toi !
Aujourd’hui c’est plus difficile, certaines marques sont cotées en bourse donc il faut rester politiquement correct, et financièrement aussi. Nous c’est différent, je suis le propriétaire…
„LE SKATE EST UN MICROCOSME AVEC SES LEADERS QUI CHANGENT LA FAÇON DE VOIR LES CHOSES…“
Et tu n’as pas envie d’aller en bourse ?
Non. Ça ne m’a jamais intéressé.
Je pense que le meilleur geste écologique à faire, c’est de ne pas rentrer en bourse !
Oui, voilà. Aujourd’hui, les magasins galèrent parce qu’on leur a fait plein de promesses qui n’ont pas été tenues… Alors moi j’essaye de toujours parler du skate et de cette façon qu’ont les skaters à être créatifs. Je trouve que le skate est un microcosme qui reflète la société à son échelle, avec ses leaders qui changent la façon de voir les choses…
Comment tu te vois toi et Sole Technology dans dix ou quinze ans ? Tu approcheras l’âge de la retraite !
Une fois j’ai entendu dire que pour être en harmonie, il faut avoir quelque chose à faire, l’envie de faire quelque chose et quelque chose à partager. Et pour moi, c’est ça qui me motive constamment. Je pense qu’on ne peut pas arrêter d’être un skater parce que c’est une expérience incroyable. Et je vois des anciens skaters qui y reviennent, qui s’aperçoivent qu’on peut continuer à skater en étant plus âgés, sans forcément faire des figures incroyables, mais juste le fait de rider provoque des interactions avec d’autres personnes. Le skate est une grande famille et on est tous forcément connectés ! Donc, à l’avenir, je ferai toujours du skate, mais pas de la même façon. D’ailleurs c’est dur à accepter, quand j’ai arrêté d’être pro, ne plus être sur la planche six heures par jour. (…) C’est sûr que si je ne faisais pas Sole Tech, je bosserai dans l’environnement. Mais je pense que j’aurai toujours un pied dans le skate !
Entretien réalisé à Paris le 16 avril 2018