Si vous trainez trop sur les réseaux sociaux, vous avez probablement vu surgir @dejavuskatemag sur Instagram il y a quelques semaines (le 5 avril précisément). Quoi qu’est-ce, d’où ça sort ? Derrière ce compte se cache Clément Chouleur, skater basque exilé à Paris à qui l’on doit quelques couvertures de Soma et qui a décidé de se lancer dans le business des magazines de skate…
„J’ÉTAIS FASCINÉ DE RETROUVER CE QUE JE CRÉAIS SUR PAPIER“
Quelle idée de faire un magazine sur papier en 2018 ?
CLÉMENT CHOULEUR : Une idée un peu folle, certainement ! Mais c’est quelque chose que j’ai toujours rêvé de faire. J’ai vraiment baigné dans la ‘culture magazine’, je suis tombé dedans quand j’étais petit !
C’était quoi les premiers magazines qui t’ont marqué ?
C’était un magazine qui ne traitait pas que de skate et qui venait du sud ouest : Beach Brother. Ça venait de Biarritz et c’était un gros truc chez nous. C’est dans mes souvenirs de magazines où je voyais des photos de voyages. Ça m’a marqué, et c’est pas là que j’ai essayé de me diriger ensuite.
Tu as fait un stage là-bas, non ?
Oui, ça a commencé comme ça. Mon premier vrai stage c’était chez Beach Brother, après le décès de Bruno Débauché (créateur du magazine, entre autres implications dans le skate et le surf en France, décédé en 2010. Il est aussi le père de Matt et Tim – NDLR). J’ai intégré l’équipe pendant sept mois, et c’est comme ça que ça a commencé.
C’est là que tu as compris comment fonctionnait un magazine…
Exactement, c’est là aussi que j’ai commencé à faire de la photo, des interviews… Tout de suite, ils m’ont laissé vachement de libertés, et moi j’étais fasciné de retrouver ce que je créais imprimé sur papier. C’était une super expérience.
Tu as ensuite enchainé avec d’autres magazines ?
Après j’ai fait un stage chez Fluofun, un site web de snowboard bien connu ! Donc je suis allé à Grenoble en 2015, et à la fin de ce stage, le groupe 1997 Media, qui avait des sites dans tous les domaines, du surf au vélo en passant par le ski, mon maître de stage a proposé de faire un site de skate, idée que j’avais depuis un moment… Donc Dammn a été créé, avec Greg Poissonnier, et on m’a demandé de contribuer. Ensuite j’ai fait un passage chez Element, mais c’était en tant qu’assistant team manager… Et puis j’ai pas mal contribué à Soma sur les derniers numéros.
Et là, il était temps de faire ton propre truc.
Oui, après trois histoires qui se finissent un peu dans la douleur, je me suis clairement dit ça, que c’était le moment…
Oui mais l’époque a changée, les gens ne consomment plus des magazines comme à une époque…
C’est sûr, c’est pour ça que je pars sur un modèle gratuit. Je ne suis pas convaincu de la viabilité du modèle en kiosque…
… à moins de le vendre 15 euros à une élite !
C’est vrai qu’il y a un petit créneau dans les librairies spécialisées, mais j’ai quand-même envie de faire un magazine de skate que les petits voient, et s’il est gratuit, c’est plus facile.
Clément AKA Choubi, wallride. Photo : Ted Trager
Ce sera un magazine à l’ancienne, un peu, donc.
Oui, rien que le titre « Déjà vu » situe le truc entre l’ironie et l’hommage, parce qu’on espère quand-même arriver à quelque chose de différent tout en étant clairement influencé par la culture des mag’ de skate, les fanzines, tout cet esprit-là.
Tu commences avec un numéro spécial, il paraît ?
Oui. J’ai eu la chance de partir au Maroc aux frais de Wasted et j’ai réussi à les convaincre de faire un magazine sur ce voyage. C’est ce qui m’a permis de constituer l’équipe : trois graphistes (le collectif Mecca skateboarding) et moi. C’était un moyen de me mettre un pied à l’étrier même si je souhaite garder ce modèle, à savoir proposer aux marques de leur vendre un trip tout compris avec un magazine à la clé.
Tu ferais un numéro sur deux comme ça, en gros ?
Par exemple. Je n’ai pas encore de plan très défini…
Oui, c’est un peu l’unique moyen de gagner de l’argent aujourd’hui en faisant un magazine…
C’est surtout un moyen de voyager ! Je veux vraiment vendre le package avec la destination de mon choix.
Et sur les autres numéros, vous avez déjà des idées ?
On s’est beaucoup creusé la tête, et si j’ai pris trois graphistes, c’est parce que l’esthétisme du magazine m’importe beaucoup. Donc ça va vraiment être focus là-dessus, pour que ce soit vraiment joli, que les gens aient envie de le regarder, de le feuilleter, de le re-feuilleter… Quant aux rubriques, j’ai envie mais je ne sais pas s’il faut tout dévoiler trop vite…
Oui, mais bon, tu peux nous faire un peu de teasing ! Y’aura des check outs, par exemple ? La rubrique a un peu disparue et je trouve que ça manque…
Oui, on a déjà le titre, un peu à la ‚le vieux/le jeune‘ (Soma – NDLR) : ‘perdu de vue’ et ‘ni vu ni connu’ !
Ah oui, pas mal ! Vous allez coupler ça avec un site internet ?
C’est le but, j’aimerais vraiment proposer du contenu propre au site. Que ce qui ne rentre pas dans le magazine puisse avoir une place sur le site internet, et ce qui est dans le magazine ait un écho sur le site.
En gros, c’est de la vidéo sur le site, quoi.
Oui. Pour l’instant l’équipe n’est pas complète, je me lance, j’espère que ça va attiser les passions !
C’est ambitieux mais c’est bien de l’être !
Oui, je n’ai jamais vraiment rien fait de concret, j’approche de la trentaine et je sens que c’est maintenant ou jamais ! Même pas peur ! Ah ah ah !
Est-ce qu’il y a d’autres magazines ou des articles en particulier qui t’ont marqué, plus jeune ?
Je me rappelle évidemment des Chill. Je pense que ça a marqué tous les skaters de ma génération. C’était un peu un OVNI…
En terme de rédaction ou de graphisme ?
En terme de graphisme, mais en terme de rédaction il y avait aussi des trucs pas mal. Je suis retombé sur un numéro il n’y a pas longtemps qui parlait d’une tournée Cliché et qui racontait comment Pontus serait intraitable s’il devenait Team Manager, et c’est ce qui est arrivé…
Ils l’avaient prédit…
Ah ah ah ! Bizarrement, j’ai aussi eu accès aux Big Brother, chez Beach Brother, le comble ! Le ton me plaisait vraiment pas mal, j’aimerais bien faire quelque chose un peu dans cet esprit, un peu irrévérencieux, un peu décalé.
Kevin Ozcan au Maroc, nollie. Photo : Clément Chouleur
„CE TALENT QU’ON A POUR TALKSHITER, EN PARTICULIER À PARIS !“
Mais aujourd’hui, si tu veux en vivre, il vaut mieux jouer le jeu des annonceurs. Et si tu fais ça, tu ne peux pas être irrévérencieux…
Je pense qu’il y a plein de choses sur lesquelles tu peux jouer. Il n’y a pas que les marques, bien-sûr c’est compliqué mais tu peux être piquant, et le but n’est pas de leur tirer dans les pattes…
Par forcément leur tirer dans les pattes, mais être objectif un minimum.
Moi je vois plus ça dans les modes absurdes, dans ce talent qu’on a pour talk-shitter, en particulier à Paris !
En tous cas, j’ai l’impression que ça va rester dans la tradition des magazines de skate comme on en a toujours connu, que ça ne va pas devenir un magazine de sport…
Oui, mais je ne me limiterai pas non-plus. Là on va m’inviter au Redbull Bowl Rippers, je vais y aller. Ça me fait marrer aussi de voir cet aspect-là et ça reste du beau skate. C’est sûr que je ne ferai pas un article papier, mais il y a des manières décalées d’aborder des sujets un peu plus formatés.
Tu as une idée de la périodicité du mag ?
Dans l’idéal, ce serait un trimestriel, pour la version magazine classique. Pour les hors-série en collaboration avec des marques, ce sera autant que possible.
Tu lances un appel !
Oui, clairement ! Mais ça sera plus facile une fois que ce numéro spécial Maroc avec Wasted va arriver. Là tout le monde va comprendre ce qu’on veut faire, le concept qu’on est en train de développer et je pense que ça va vraiment être mon meilleur argument pour vendre le projet.
Sur Instagram, on apprend que ça sera évolutif. Ce sera en terme de format, de graphisme ?
C’est ce qu’on voudrait, oui. Un peu comme Fluff faisait à une époque. Mais pour l’instant, d’un point de vue pratique, les premiers numéros auront le même format, le même papier. Le logo et la mise en page changeront à chaque fois, ça je peux déjà te le dire. Dans l’idéal, on voudrait pouvoir changer de format, de papier, pouvoir utiliser des couleurs Pantone, être créatif, quoi…
Niveau contributeurs, tu es ouvert à tout ?
Oui ! Par exemple, sur le premier numéro, on aura sûrement Dustin Dollin. J’aimerais bien lui faire raconter des anecdotes de tours, à chaque fois que je vais boire un coup avec lui, il me raconte toujours des trucs rocambolesques !
Une chronique à la Scott Bourne, quoi.
Ah ah, ce ne sera pas la même chose mais clairement, c’est inspiré de Orgy Porgy (la rubrique que tenait Scott Bourne dans Soma – NDLR). On aimerait bien aussi développer une rubrique sur les skaters qui font de la photo.
Vincent Milou, wallie boardslide au Maroc. Photo : Clément Chouleur
C’est sûr, y’en a un paquet !
Il y en a qui sont vraiment doués. J’aime beaucoup Brian Delatorre. Je lui ai demandé de faire une sélection…
Vous faites une soirée de lancement, donc ?
Oui, pour le lancement du mag et de la vidéo, sous l’égide Wasted, le premier juin.
Vous comptez faire des soirées à chaque lancement ?
Oui, c’est l’idée. Mais il faut que j’arrive à faire en sorte que ça ne soit pas parisiano-parisien. Que les gens puissent s’y identifier, qu’ils soient à Nice ou à Cahors…
Oui, mais c’est difficile à faire parce que déjà c’est à Paris qu’il se passe le plus de choses, et ensuite tu ne peux pas être partout non-plus…
En soi, si, c’est une question d’organisation. Si tu sais précisément ce que tu veux faire, c’est concevable. Après j’aimerais bien avoir des contributeurs, aussi bien en photo qu’en illustration…
J’ai toujours aimé les illustrations dans les magazines, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas tant de gens qui font ça dans le skate…
Je ne suis pas d’accord, je connais pas mal de jeunes qui font des trucs. Et puis c’est un peu la mode, les formations dans le graphisme, il y a des mecs qui se débrouillent pas trop mal.
Donc le mag sort le 2 juin, et le suivant, tu le sais déjà ?
Non, je ne te cache pas qu’il va falloir qu’on charbonne pour trouver le financement auprès des marques parce qu’on part de rien, comme 80% des skaters qui essayent de vivre de leur passion je suis au RSA !
Entretien réalisé le 21 mai 2018 à Paris.