Il y a à 4 ans à peine, personne n’aurait osé faire ça. Pour remonter son pantalon au-dessus des chevilles, il fallait vraiment être un dingue ou être très fort en skate, parce que quand on est fort en skate, on peut tout se permettre, c’est bien connu.
Sauf que les feux de plancher, appelés floodpants en anglais (flood = inondation) ne datent pas d’hier. Remontons aux débuts des années 90, époque Big Pants Small Wheels, période mal-aimée où tout était bon pour faire remarquer au monde que le skate n’était pas un truc « normal ».
Pratiquement d’un jour à l’autre, dans les magazines et les vidéos sont apparus ce qu’on appelle les goofy boys, qui comme leur nom l’indique, avaient l’air ridicule. En bon adolescent rebelle, j’avais moi-même opté pour ce style. Cependant, vu le prix que coûtait ces pantalons, on attendait souvent que des trous apparaissent du côté du pied avant pour les découper au niveau des chevilles. Et pour les complexés aux grands pieds comme moi, c’était une bonne aubaine pour les cacher sous un gros tas de plis. Les pros, eux, forcément, n’avaient aucun scrupule à laisser s’effilocher leurs jeans au niveau de la malléole, et pendant un an ou deux, pour être reconnu de ses pairs, à défaut de les couper, il fallait au moins faire quelques ourlets à ses baggies.
Le vrai Goofy Boy, Danny Way et Lance Mountain autour de 1992
Et puis cette période XXXL a disparu aussi vite qu’elle était apparue. Les baggies sont restés mais les coupes sont devenues raisonnables. Pendant une période, c’était un cargo pant (avec les poches sur les côtés) qu’il fallait avoir si l’on voulait faire partie du groupe. En France, exception culturelle oblige, le bas de survêt’ remonté sous les genoux était même devenu à la mode à un certain moment, avant d’être raillé et porté de manière confidentielle jusqu’à ce que Lucas Puig, récemment, vienne lui redonner ses lettres de noblesse (sans le remonter cependant).
Fin 1999, alors que The Storm, la vidéo Osiris, révolutionnait le skate (au moins dans la région de San Diego en Californie), on en était plus à se marcher sur le pantalon ou à l’inverse, à commencer à porter des jeans moulants, vu que le reste du monde avait adopté le baggy. La cheville restait toutefois timide, voire indécente. Immanquablement, ceci nous ramène au fameux « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » de Tartuffe. Parce que c’est toujours bon les références littéraires pour crédibiliser un texte.
Le seul à braver l’interdit dans les années 90 : Jason Dill. À droite : Peter Smolik et son pro model de pantalon qui se scratchait à la chaussure
L’an 2000 est arrivé, les Twins Towers sont tombées, et pendant que Kenny Reed et Nate Jones ressortaient le velours de leurs placards de hippie, Reynolds et Chris Cole décidaient de passer d’un extrême à l’autre en matière de pantalonnade.
Il faut attendre 2010 pour que Dylan Rieder brise le tabou. Une indécence très vite pardonnée par une classe ultime et une sélection de tricks impeccable réunis dans sa part’ Gravis (on remarquera au passage que plus la vidéo avance, plus les ourlets sont hauts…).
Dylan raconte ouvertement qu’il s’inspire de la mode, celle qu’on n’appelle pas pour rien la haute-couture (ah ah). Il n’a donc rien inventé. Disons qu’il a simplement créé des ponts entre deux mondes qui s’observent depuis longtemps tout en se méprisant l’un-l’autre.
Depuis, l’ourlet s’est propagé dans le skate comme un feu de paille et les chevilles s’exhibent joyeusement de la Place de la République au skatepark de derrière le stade. Richie Jackson nous refourguerait bien la version patte d’ef, mais bizarrement, rien n’y fait. Par contre, j’ai comme l’impression qu’un nouveau truc est en train d’arriver, depuis Cherry. Après les baggies portés sous les fesses, il semblerait que la tendance soit aux pantalons portés au-dessus de la taille. Même plus besoin de faire des ourlets, pas con !