A PROPOS DE KABYLIFORNIE

Si vous êtes Parisien, il y a toutes les chances pour que vous ayez croisé Mus (Mustapha Bennacer) derrière le comptoir de chez Nozbone à une époque, sur un spot, ou qu’il vous ait fait marrer sur Instagram… Mus est aussi batteur dans les groupes Fantomes et Bagarre, et vient de sortir un nouveau morceau, là : „Kabyliefornie“ (avec Bagarre). Un morceau qui parle de lui, de skate, de rock et du bled.

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„À LA MAISON ÇA PARLE KABYLE ET ÇA MANGE DU COUSCOUS“

Qu’est-ce qui te fait peur avec la sortie du clip ?
Mus : Bah, je raconte des trucs hyper personnels, je raconte toute ma vie !

Oui, mais c’est le principe de la musique, et on ne va pas dire que t’es un rappeur, mais c’est un peu la mode dans le rap de raconter sa vie !
Oui… c’est aussi un peu l’ADN de Bagarre, d’arriver chacun à exister en étant celui qu’on a envie d’être…

Dans Bagarre il n’y a pas de leader, c’est pas plutôt ça qui te perturbe, de prendre un peu la tête du truc avec ce clip ?
Complètement, j’ai passé toute ma vie derrière une batterie et là je me retrouve en train de rapper alors que j’ai jamais rappé de ma vie ! Après, c’est cool, c’est assez excitant, je me dis que c’est du bon stress…

Oui, et puis c’est peut-être le moment où ça devait arriver, avant tu n’étais pas prêt, là t’es mûr… Tu appréhendes aussi comment ça sera reçu dans le skate, non ?
Pas vraiment, c’est plus avec les gens que je connais, que j’ai pu côtoyer, c’est un peu comme si je faisais écouter un morceau à ta famille…

Il y a un décalage…
Oui, est-ce qu’il vont aimer ou détester ?

Ca va être le moment où ils vont découvrir ton monde, quoi…
Voilà, ou à l’inverse, que dans le skate des mecs se disent « mais c’est pas un skateur, je l’ai jamais vu sur un skate ! », ah ah !

Comment est né ce morceau ?
C’est un thème que j’avais envie d’explorer depuis longtemps, j’avais des bribes de texte et à la fin de l’album précédent on m’a soumis des références en me disant « tiens, tu devrais essayer de faire ça », en mode Belsunce Breakdown ou MHD, tu vois ? Moi j’ai dit « ouais, mais je suis pas un rappeur, moi ! » Je suis un batteur, je chante oui, mais je ne fait pas de rap, ça ne fait pas vraiment partie de ma culture… Mais bon, je suis rentré chez moi et j’ai fait une « démo » tout seul. Je me suis tapé des barres ! Je leur ai envoyé le truc et tout le monde a dit « ouah, chanmé, on garde ça comme ça ! » Moi je leur dit « wow wow, tranquille les gars… Vraiment ? », et puis en fait, ça ne marchait pas autrement que comme ça donc on a approfondi ça dans ce style… Et puis c’était intéressant de voir le décalage entre ce que le morceau raconte et la façon dont c’est présenté, en mode rap. Je trouvais le contraste intéressant.

Oui, c’est une espèce de rap old school qui raconte ton histoire… Le fait d’être fils d’immigré, c’était ça que tu avais envie de raconter ?
Mes parents sont Algériens, ils se sont mariés en Algérie et sont arrivés quelques années plus tard. Moi, ma soeur jumelle et mes deux grands frères, on est nés en France et on a tous grandi comme des occidentaux. On est Français, je me sens Français, mais mes origines sont présentes dans ma vie, ça fait partie de moi, genre à la maison ça parle kabyle et ça mange du couscous…

Tu allais au bled souvent, non ?
De ma naissance à mes 21 ans, j’y suis allé tous les étés, dans un village, pas très loin de Tizi Ouzou, en Grande Kabylie. C’était chanmé, mais comme tout gamin, quelques soient tes origines, au bout d’un moment, quand tu as juste envie de faire du skate et de la musique, tu finis par te faire chier dans un village comme ça…

C’est vrai que la Kabylie n’est pas connue pour ses groupes de rock…
Non, ce n’est pas présent du tout, comme le skate… J’y allais tous les étés, et au bout d’un moment, j’ai eu besoin de faire autre chose. Dans ma tête, ces deux mondes ne cohabitaient pas vraiment donc je n’y suis pas allé pendant pas mal d’années. Je m’étais dit que j’allais faire du skate, du rock, et que les tunes que j’avais je les dépenserais dans du matos d’occase ou des heures de répet’ dans des studios plutôt que dans des billets d’avion… Et quand j’y suis retourné, j’ai pris une claque monumentale !

Donc là, tu as connecté les deux mondes. Comment ça s’est passé ?
Bien ! Ma famille était hyper fière, j’avais un peu l’impression d’être Michael Jackson qui arrive en Algérie pour faire un clip !

Normal, il ne devaient pas savoir quelle dimension ça a réellement, tout ça…
Oui, bien-sûr, mais c’était aussi mes deux familles qui se rencontraient, ces deux choses qui avaient du mal à cohabiter dans ma tête et qui se rencontraient enfin… C’était incroyable, tout était beau, vraiment, ma culture française rencontrait ma famille et ma culture au bled… Et puis à Alger, là où pendant toute mon enfance et mon adolescence le skate n’existait pas, je me suis retrouvé à skater dans les rues avec plein de locaux, c’était des moments forts, parmi les plus forts de toute ma vie. Je découvrais un truc dont je ne soupçonnais pas l’existence et qui faisait vraiment echo à ce que je dis dans la track, et là j’arrive et je vois que les choses ont tellement changé, que les gens sont beaucoup plus ouverts.…

C’est comment le skate à Alger, autant on entend parler du Maroc depuis un moment, autant l’Algérie ça commence à peine, pourquoi selon toi ?
Ca a commencé à se développer il y a six ou sept ans, si je ne dis pas de connerie. C’est pas encore vraiment développé et c’est pas encore gagné. Disons que l’Algérie est un pays assez fermé, politiquement parlant, il n’y a pas de tourisme par exemple… Alors les gens sont super contents qu’on leur rende visite, qu’on s’intéresse à eux…

Mus2

Donc ta veste en cuir et tes cheveux longs, c’est passé nature ?
Oui, il faut savoir aussi que je parle kabyle donc même après autant d’années sans y être allé, je me sens chez moi, là-bas. Et puis la jeunesse Algérienne est hyper ouverte, elle n’est pas… conservatrice, quoi. Il y a une envie d’émancipation de ouf !

Et donc, il y a une scène skate à Alger ?
Oui, même si c’est super difficile de trouver du matos, c’est un peu réservé à une élite. Mais les gars sont tellement soudés qu’ils se font tourner du matos, ils ont une page Facebook où ils s’échangent des boards… Leur crew s’appelle Algeria Skateboarding (@algeriaskateboarding), s’il y a moyen de leur faire une dédicace… Et en parlant de dédicace, j’avais rencontré les gars de Unemployed au Bottle Shop (un bar à Paris – NDLR) et j’ai vu un jour sur Instagram qu’ils étaient allés filmer en Algérie. Ca m’avait fait péter un câble ! Je m’étais dit « mais qu’est-ce qu’ils vont faire en Algérie ? » ! Ah ah, du coup j’étais entré en contact avec eux et avec BSM à Marseille, qui y sont allés aussi. Ils essayent de faire bouger les choses à leur échelle, de rapatrier du matos quand ils peuvent, et à ma connaissance, ce sont les seuls à y être allés…

Pour en revenir à la musique, cette experience en mode « rap », ça t’a donné envie de lâcher plus souvent la batterie ?
Je chante déjà dans le morceau « Miroir », une chanson que j’ai écrit sur ma soeur jumelle. Donc oui, j’ai déjà commencé, mais je ne sais pas sous quelle forme ça va continuer, peut-être pas du rap…

Je ne sais pas si on peut appeler ça du rap, en tous cas ça y ressemble…
Ouais, c’est un pastiche un peu !

Toi le rockeur qui te mets à faire du rap !
Ouais, pourquoi pas, hein ?

C’est vrai qu’il y a tout qui se bouscule dans Kabylifornie : le skate, le rap, le rock, la France, l’Algérie… En fait c’est ça que tu appréhendes, ce mélange de toutes ces communautés…
Oui, je suis grave excité mais comme avant toute chose qui va sortir, j’ai le trac ! J’ai passé toute ma vie derrière ma batterie, je n’ai jamais vraiment eu de clip avec ma gueule en premier plan… mais bon, c’est cool, j’ai hâte que ça sorte et j’ai hâte de la faire en live !

Entretien réalisé à Paris le 5 avril 2019.