La série documentaire est un podcast en 4 épisodes diffusé chaque semaine sur France Culture et s’intéressera au skateboard la semaine prochaine. Vu que c’est payé par nos impôts, la moindre des choses aurait été que ça rende à peu près justice à ce qu’est véritablement le skate… eh bien figurez-vous que c’est le cas et que, au-delà du fait que votre dévoué serviteur y intervient une ou deux fois, il vous sera vivement recommandé d’écouter ça. En attendant la diffusion à partir de lundi 26 juin, j’ai inversé les rôles et interrogé le journaliste (Raphaël Krafft) qui s’est chargé de creuser le sujet, et qui, chose rare à souligner, a réussi à ne pas tomber dans le caricature du sport „extrême“.
„IL Y A CETTE IDÉE QU’IL N’Y A JAMAIS EU DE SÉRIE DE QUATRE HEURES SUR LE SUJET, ET QU’IL NE FAUT PAS SE LOUPER“
T’es ce qu’on appelle un Grand Reporter. Comment est-ce que tu t’es retrouvé à faire un documentaire de presque 4 heures sur le skate ?
Raphaël Krafft : J’ai commencé le journalisme à vélo, en traversant l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord. Ensuite j’ai enchainé comme reporter de guerre pendant une dizaine d’années et c’est à la naissance de mon fils que j’ai arrêté. Le hasard a voulu que j’étais en Lybie au moment de la révolution et la radio pour laquelle je travaillais m’a demandé de couvrir les questions des migrants sur place à cette période-là. Donc depuis 2011, mon sujet principal, c’est la question migratoire, j’ai arrêté le reportage de guerre parce que je ne voulais plus prendre de risque après la naissance de mon fils. Et quand on couvre un sujet comme les questions migratoires, on est souvent confronté à des choses pas toujours très gaies, souvent glauques, donc j’essaye régulièrement de faire des pas de côté pour couvrir des sujet plus légers. Comme je fais du surf, j’ai proposé une série sur le surf à France Culture. Et depuis la diffusion de cette série, on m’a un peu collé l’etiquette « sports de glisse », et on m’a demandé de faire une série sur le skate. Voilà comment je fais le grand écart avec l’Irak, la Bosnie ou les territoires palestiniens, c’est un cheminement. Je refais un sujet sur les questions migratoires à partir de septembre, et en même temps je continue d’écrire des articles sur le surf… C’est comme ça que j’en suis arrivé à faire cette série sur le skate. Et j’ai par ailleurs skaté dans ma jeunesse comme beaucoup de personnes de ma génération (je suis né en 1974).
Tu as skaté combien de temps et à quel moment ?
Je crois que j’ai eu ma première planche à Noël 1981, une planche en plastique. Après j’ai eu une planche du type de ce qui se faisait dans les années 80, en 86 ou 87, je ne me souviens pas de la marque mais ça ressemblait aux boards Powell-Peralta, elle était large, avec beaucoup de concave. Je skatais dans la rue, je faisais des « ollie-air » et j’allais même à la rampe de Ste-Geneviève-des-Bois.
Donc tu avais déjà une sensibilité au skate.
Oui, j’avais une sensibilité mais une connaissance assez partielle du milieu.
D’où vient l’idée de Radio France de faire un sujet sur le skate ? Comment c’est perçu là-bas ? Est-ce que c’est l’imminence des JO de Paris qui provoque ça ?
Je pense que l’imminence des JO et la pratique exponentielle notamment chez les femmes dans Paris n’est pas étrangère à ce choix. Mais ce n’est pas moi le patron, on m’a demandé de faire cette série, j’ai accepté parce que c’est un monde qui mérite d’être exploré et documenté.
Comment est-ce qu’on commence un travail comme ça ? Quels sont te premiers réflexes journalistiques pour aborder le sujet ?
J’essaye d’acheter LE livre de référence, sachant que c’est assez compliqué car il n’y a pas tant de littérature que ça. Le premier livre que j’ai acheté c’est Locals Only de Hugh Holland, qui est un livre de photo. Ensuite j’ai acheté Skateboarding and the City de Iain Borden, qui m’a beaucoup aidé dans la compréhension du skateboard. Quand on fait une série documentaire de quatre heures, il faut pénétrer un monde, beaucoup se documenter… J’ai ensuite acheté tous les livres de Raphaël Zarka…
Comment tu es arrivé à connaître le travail de Zarka ?
À Radio France, on a un service de documentation qui nous sort toutes les archives de presse des 20 ou 30 dernières années et on voit apparaitre tel chercheur ou chercheuse, je pense à Claire Calogirou, ou des personnalité importantes comme Raphaël Zarka parce qu’il y a eu tel événement ou tel bouquin qui sort… Une fois qu’on commence à identifier des noms, on va sur le web, on regarde ce qui sort, on appelle les maisons d’edition qui nous envoient les bouquins. En les lisant on comprend plein de choses, notamment la révolution copernicienne de l’invention du Ollie Air. Et à partir de là, on commence à se faire une idée de l’historique de la pratique, et à envisager un découpage. Ensuite, surtout, ce qu’on fait, on téléphone au copain qui est le plus à-même de connaître le skate, on discute avec lui qui nous dit d’appeler untel et par ricochet, on en vient à appeler David Turakiewicz, Raphaël Zarka ou Mathias Thomer, qui sont ensuite des personnages ressource qu’on peut consulter régulièrement pour voir si on fait fausse route ou non.
J’imagine qu’il y a des noms qui reviennent souvent…
Oui, à chaque fois qu’on se lance dans un documentaire à format long, on cherche ces personnes ressource. C’est à dire des personnes qui sont proches de la question et qui y travaillent depuis des décennies et donc qui ont une vision globale de l’affaire et qui vous épargnent les erreurs de débutant.
J’ai l’impression que tu t’es pris rapidement au jeu. A quel moment c’est devenu passionnant ?
J’ai su que j’allais faire cette série à l’automne (2022), donc j’ai commencé à bouquiner et dès qu’on fait les premières interviews, on se rend compte que les gens sont sympa dans le milieu du skate. Bon, j’enfonce un peu des portes ouvertes, mais il y a des sujets où c’est plus facile que d’autres, et là en l’occurence, j’ai été très bien accueilli par le milieu du skateboard, que ce soit street, bowl ou autre. Et j’ai senti une volonté de la part de mes interlocuteurs et de mes interlocutrices de véritablement vouloir partager leur passion. Et dès lors que vous êtes face à des personnes qui s’ouvrent, qui prennent du temps pour vous conseiller, répondre à vos questions, vous avez une petite dette envers eux, donc vous essayez de faire du mieux que vous pouvez. Ca veut dire faire beaucoup d’aller-retours au Cosanostra skatepark à Chelles pour rencontrer des gens, regarder comment ça se passe, parfois sans sortir le micro… La chance qu’on a à France Culture, c’est qu’on a la possibilité de prendre du temps (ce qui ne veut pas dire que ce temps-là nous est payé) et donc, il y a des amitiés ou du moins des amitiés en devenir, ou des affinités avec certaines personnes qui vous ouvrent leur carnet d’adresse.
Il n’y avait jamais eu, à ma connaissance, de documentaire de cette ampleur sur le sujet sur la radio publique…
C’est vrai qu’autant il y a une documentation spécialisée considérable, je pense au site endlesslines.free.fr de Claude Queyrel, je pense à Thrasher qui existe depuis 42 ans, Transworld, Sugar… toute la presse magazine est considérable mais je ne peux pas lire Thrasher du premier numéro jusqu’à aujourd’hui. Mais c’est vrai qu’en « vulgarisation du skateboard », il n’y a pas grand chose. Alors bien-sûr il y a Dogtown and the Z-boys, des films comme ça, mais qui restent circonscrits à une certaine époque. Mais pour ce qui est du service public, lorsqu’on travaille à France Culture on a accès aux archives de lNA et c’est vrai qu’en terme d’archives télévisuelles ou radiophoniques, il y a très peu de choses. Et le plus grand nombre d’archives se situe dans les années 70, bizarrement. Donc au-delà de faire une série documentaire sur le skateboard, il y a cette idée qu’il n’y a jamais eu de série de quatre heures sur le sujet, et qu’il ne faut pas se louper, parce qu’on documente quelque chose sur presque trois-quarts de siècle.
Quand tu m’as contacté, j’ai compris qu’il y avait toutes les chances que le skate ne soit pas caricaturé comme il l’est souvent, plein de clichés, dans les reportages qu’on peut voir à la télé ou entendre à la radio occasionnellement. J’ai compris qu’il y avait là une opportunité de montrer ce qu’est vraiment le skate.
La méfiance et à fortiori avec les journalistes, c’est très classique des pratiques « marginales », et quand je dis « marginales », c’est avec bienveillance. Je couvre souvent aussi les questions militaires, et les journalistes n’ont pas toujours très bonne presse auprès des militaires et dès lors que vous vous intéressez à eux, il sont ravis de vous ouvrir leurs portes et de s’exprimer. Et c’est vrai que j’ai ressenti ça au sein de la communauté skateboard qui avait vraiment envie de me parler, et qui savait que je prenais le temps. Parce que faire une série documentaire de quatre fois une heure, c’est énormément de travail de documentation, de recherche et d’identification des personnages. A partir de là, dès lors qu’on a du temps, on a la possibilité de mieux comprendre.
Bon je ne sais pas si cette question est très pertinente, mais je vais la poser quand-même, vu que tu fais du surf. Est-ce que tu penses que le skate s’est complètement affranchi du surf ?
Ce que j’ai compris à travers tous les livres que j’ai lu et les interviews que j’ai faites, c’est que la découverte du Ollie Air et la naissance du street permet de s’affranchir de la courbe et des „vagues pétrifiées“, on va dire. C’est à ce moment-là que le skate s’est affranchi du surf. Ce qui est intéressant, c’est qu’à cette même période j’ai l’impression que c’est le surf, avec la new-school qui arrive à la fin des années 80/début des années 90 notamment avec Kelly Slater, qui commence à faire des airs, donc des 360° dans les vagues, etc., et là au contraire, c’est le surf qui emprunte au skateboard… Après, je ne te cache pas que je ne fais pas de air, que je préfère des surfers comme Torren Martyn, qui sont plutôt dans la ligne que dans les acrobaties, ou la radicalité. Sinon, si je devais comparer le monde du skate et le monde du surf… Je ne skate plus vraiment, mais mon fils de 12 ans skate, donc je vais très souvent à Jemmapes (minuscule skatepark parisien en centre-ville – NDLR) et j’ai vraiment l’impression qu’il y a une bien plus grande bienveillance sur un spot de skate que sur un spot de surf. A douze ans, début de l’adolescence, il est pris en charge tout de suite, je peux le laisser en confiance. Il y a beau y avoir des pétards et des 8-6 qui tournent, je ne le sens pas du tout en insécurité. Alors il n’est pas en insécurité sur un spot de surf non-plus, mais le « localism » a l’air beaucoup plus fort en surf qu’il ne l’est en skateboard.
Est-ce que ça t’a donné envie d’aller plus loin dans la documentation du skate, est-ce qu’il y avait des aspects que tu n’as pas pu intégrer dans ces quatre heures ?
Oui, il y a des sujets que j’ai envie de couvrir, comme l’utilisation du skate dans les politiques urbaines, notamment l’utilisation du skatepark ou de la plaza pour mettre les migrants et les SDF dehors…
C’est là où tu peux faire le pont entre la question migratoire et le skate !
Oui, d’autant que j’habite à 200 mètres de ce qui a la prétention d’être un skatepark à La Chapelle, qui a été fait précisément pour éviter l’installation d’un camp de migrants sous le métro.
Officieusement !
Officieusement.
Encore une question qui n’est probablement pas très pertinente mais je tente quand-même. Après toutes ces recherches, comment tu définirais le skate ?
Pfiou… Comment je définirais le skate…
Bon, formulons ça autrement. Après toutes ces recherches, est-ce que tu penses que le skate a sa place aux JO ?
Ah ! Pour ça j’invite les skateurs et skateuses qui vont lire cette interview à écouter le quatrième épisode de la série. Comme on se le permet toujours quand on fait du documentaire, on a un point de vue là-dessus, et je crois qu’il ressort assez bien.
Quel est ton meilleur souvenir de ces mois d’investigations ?
Sans hésitation, le Versus skatepark de St-Jean-de-Maurienne. Pour l’accueil, la fraternité, l’enthousiasme, et puis surtout pour quelque chose qui est assez universel et qu’on trouve beaucoup dans le mouvement Punk, c’est qu’on fait les choses gratuitement. Attends, je vais te faire une belle phrase : j’ai trouvé des personnes qui ont une conscience aigüe de ce qu’est le don de soi. Et ça faisait très longtemps que je n’avais pas conduit une interview avec un coup dans le nez !
„Skate, de la rue aux JO“, La Série Documentaire, partir du 26 juin à 17:00 sur France Culture. Par Raphaël Krafft et David Jacubowiez.
Episode 1 : Les tontons skateurs
Episode 2 : A la conquête de la ville