On est en 2020, le skate a finalement intégré les femmes, ou plutôt, elles s’y sont intégrées. Non sans mal. Les skateshops commencent à sponsoriser des skateuses, les contests égalisent peu à peu leurs prize-money, et même si on est encore loin du compte, elles sont de plus en plus nombreuses à faire valoir leurs droits. L’émancipation est telle qu’elles osent même porter des shorts (beaucoup) plus courts que Lucas Puig. Bref, Sophie Berthollet est l’une des créatrices de l’association Realaxe, à Paris, qui organise des évènements skate plus orientés aux femmes qu’aux hommes.
Combien d’adhérents compte l’association ?
Sophie Berthollet : L’année dernière (sur la saison 2019-2020) je pense qu’on avait une centaine d’adhérentes et d’adhérents. Cette année, on est déjà à cinquante licenciés. On propose maintenant un abonnement avec la licence pour avoir plus de poids auprès des institutions, ou quand on organise des évènements. Cette année, dans l’abonnement, qui est à 200€, il y a des cours de skate, un accès à tous les créneaux qu’on à l’EGP et au skatepark de Charonne et la licence qui coûte 35€ est incluse. Après, si tu veux savoir le nombre de personnes qu’on touche à chaque évènement, c’est entre 100 et 150 filles.
Ça évolue comment ?
Tout le monde l’a remarqué, depuis un an et demi, deux ans, le skate féminin est en train d’exploser. Et depuis cet été, ça explose encore plus ! A titre d’exemple, l’année dernière sur des cours à l’EGP où il y avait une quinzaine de filles, aujourd’hui on en est à 35 !
Tu crois que c’est un phénomène de mode ou est-ce que c’est déjà un truc passionnel pour la plupart ?
Je pense que l’impact des réseaux sociaux a changé les choses. Pas mal de filles ont posté leurs tous débuts en skate sans avoir honte de montrer qu’elles débutaient, et ont montré leur progression. Je pense que ça a déclenché pas mal de vocations pour des filles qui voulaient faire du skate sans vraiment oser.
En tant que skateur masculin, c’est toujours une question que je me suis posé : en quoi il y aurait une honte de faire du skate quand on est une femme ?
Je pense que l’angoisse est valable pour tout le monde, que ce soit masculin ou féminin. Quand on débute un truc, on a un peu honte, on ne se dit pas « Je suis débutant, c’est normal que je n’y arrive pas ». Je travaille dans un magasin et je le vois, même quand ce sont des hommes qui viennent s’acheter une board pour la première fois, ils me disent : « Bon, maintenant, je vais aller m’entrainer dans un coin ». Pourquoi dans un coin ? Pour pas qu’on te regarde. On a tous cette appréhension là, homme ou femme.
Et le fait d’être une femme, ça exacerbe le truc…
Oui, parce qu’on est en minorité, c’est juste lié à ça. Parce que les filles n’étaient pas vraiment représentées dans le skate jusqu’à maintenant. Moi-même je l’ai vécu : quand j’ai commencé le skate, dès que j’arrivais sur un spot tous les regards se tournaient vers moi et je n’osais pas y aller… Déjà il y a l’effet de surprise et puis les gens se demandent tout de suite ce que tu vaux. Mais ça, c’est valable pour tous les skateurs. Quand quelqu’un que tu ne connais pas arrive sur ton spot, tu te demandes tout de suite ce qu’il vaut. C’est idiot mais c’est comme ça. Et nous en tant que femmes, on a encore plus ce poids sur les épaules. On a des témoignages de filles qui se sont faites jeter juste parce que c’était des filles…
MC Sophie. Photo : Emmanuelle Barbier
J’ai du mal à imaginer comment on peut virer quelqu’un d’un spot juste parce que c’est une femme…
J’ai vécu ce genre de chose. C’est une des raisons qui m’a motivée à monter l’association. Quand j’étais au Lycée, je faisais partie du groupe des skateurs. C’est un peu cliché mais c’était ça, j’avais la passion du snowboard, je voulais faire du skate, et dans ce groupe de pote, un type m’a dit « tu ne vas pas faire du skate, t’es une fille, les filles sont nulles en skate ! » Et moi, étant plutôt timide, je ne suis pas allée plus loin. Ce n’est que quelques année plus tard qu’une personne, qui est devenue mon meilleur ami aujourd’hui, m’a dit : « Tu veux faire du skate ? Bah viens ! » Et on a commencé à aller à Roller Park Avenue tous les mardi soir. C’est là que j’ai commencé, à l’âge de 22 ans. (…) Au lycée j’étais tombée sur un con. Et des cons y’en a partout. Mais on ne se dit pas que tous les skateurs hommes sont des cons ! C’est ce qu’on essaye d’exprimer au sein de Realaxe, c’est fait pour les filles mais c’est ouvert à tout le monde. Il n’y a que les cours, qu’on fait dans des espaces particuliers, qu’on ne fait que pour les filles parce qu’il y a encore des filles qui se sentent plus à l’aise qu’avec des filles pour pratiquer. A l’inverse, il y a des filles qui n’en n’ont rien à faire d’être avec des filles parce que justement ça s’est beaucoup démocratisé.
Est-ce qu’il y a d’autres associations similaires en France ?
A ma connaissance, non. Mais j’ai remarqué pendant le confinement que pas mal de groupes de filles s’étaient montés sur Instagram, des filles qui se retrouvent régulièrement pour aller skater. Mais en association pure, non.
J’ai aussi l’impression que les marques ont tendance à se ruer sur les filles qui skatent, pour leurs besoins marketing. Est-ce que vous êtes beaucoup sollicitées de ce côté-là ?
Effectivement, tout ce qui est en rapport avec les femmes et le sport a le vent en poupe. C’est une chance je trouve. Par exemple, l’année dernière Adidas est venu nous voir pour nous proposer de faire partie d’un projet qui s’appelle « She breaks barriers », en sélectionnant des associations qui étaient en train de se développer et de les aider à se développer encore plus, dans le sport. On a donc reçu une enveloppe qui nous a permis de payer les profs et d’acheter du matériel. On n’est pas trop sollicitées non-plus et on ne va pas à la pêche aux sponsors par manque de temps. On est un peu débordées ! Mais on a conscience qu’on pourrait en avoir plus.
Est-ce qu’il y a des demandes que vous avez dû décliner parce que trop éloignées de ce que vous faites ?
Non. Par contre, en ce moment, on est beaucoup sollicitées par des personnes qui veulent faire des reportages sur Realaxe. Au début je répondais oui tout le temps mais au bout d’un moment ça devient trop, même si c’est super gratifiant de savoir qu’on s’intéresse à nous.
Drop in Sophie. Photo : Emmanuelle Barbier
Vous avez des subventions ?
Non, pareil, il faudrait qu’on trouve le temps de faire les demandes… Au tout début de l’association c’était déjà assez compliqué à mettre en place, mais j’avais quand-même fait un dossier pour ça. Je n’avais rien eu du tout donc ça m’avait déçu !
Je pense qu’ils attendent aussi que l’association fasse ses preuves au moins la première année.
Oui, en tous cas ce serait cool d’avoir une subvention de la Mairie de Paris !
Tu en ferais quoi ?
Des évènements. Ou des road-trips à la rencontre des autres filles en France par exemple…
Avec la perspective des JO, ils sont peut-être plus ouverts aujourd’hui…
Il faut qu’on trouve le temps de le faire. L’objectif cette année est aussi de trouver des bénévoles pour se décharger un peu, et faire des choses qu’on n’a jamais pris le temps de faire.
Comment on fait pour adhérer à l’asso ? Je t’envoie un message sur Instagram ?
En a pour projet d’avoir enfin notre site internet à la fin de l’année, avec toutes les infos. On travaille dessus. Le mieux c’est de venir à une de nos sessions tous les premiers dimanche du mois. On va à chaque fois dans un skatepark différent pour faire découvrir ces parks aux filles ou pour se rapprocher de celles qui habitent loin de Paris. Ça s’appelle les Realaxe Girl Sessions et c’est ouvert à tout le monde !
Old School Sophie
Combien de temps ça représente chaque semaine, pour toi, l’asso ?
Je m’occupe des réseaux sociaux, je contacte les gens, je réponds à toutes les sollicitations sur Instagram, WhatsApp, Facebook… Et puis les évènements qu’on organise, les réunions au moins une fois par semaine, tout ça me prend au moins deux heures par jour en moyenne. Là c’est le début d’année, les inscriptions prennent pas mal de temps aussi… Attention, je ne suis pas seule, hein ! Mais je bosse au magasin (Citadium Paris corner skate – NDLR) à 35 heures, et puis j’essaye de trouver du temps aussi pour skater… Mais là, avec le déconfinement, j’étais en chômage partiel, j’avais trois jours de repos par semaine, donc je skatais trois jours par semaine !
Entretien réalisé à Paris en septembre 2020. REALAXE est sur Facebook et Instagram. Leur site arrive bientôt.