A PROPOS DE SKATE DANS LES MUSEES

Si vous ne connaissez pas encore Raphaël Zarka, il va falloir que ça change. Sachez déjà qu’il a écrit des bouquins passionnants sur le skate et qu’il parvient régulièrement à amener le skate dans des musées grâce à ses sculptures étrangement géniales. Mais pourquoi au musée, comment et combien ça coûte ? Elements de réponses ci-dessous.
Photos par LOÏC BENOIT

LBF_7537Lyon, Les Subs, 2022

„ON DOIT ÊTRE AUTOUR DE 50 000€“

Ça fait plusieurs années que tu les traînes ces modules, c’est toujours les mêmes ?
Raphaël Zarka : Il y a plusieurs jeux de modules. Le premier, celui de la collab Isle/Carhartt en comprend huit. Il date de 2015, il a été exposé et skaté à Paris, Londres et Singapour. Le second, que j’utilise à Lyon, comprend quatorze modules en chêne massif, il date de 2016, il a déjà été skaté et exposé plusieurs fois : à Poitiers, Besançon, Nancy, Anglet et Chicago. Un troisième, de huit modules, a été produit à Taipei avec un bois local et deux modules de cette série seront bientôt exposés à Lille. En plus il y a tous les modules de Paving Space en acier Corten, plus d’une trentaine, ceux qui ont été montrés à Castellon (en Espagne), à Charleroi (en Belgique) et à Annecy l’an dernier.

Ça doit coûter un bras à fabriquer et à transporter…
Oui, c’est vraiment le problème de la sculpture en général… on est toujours contraint par les budgets de prod et de transport. Le musée de Whistler au Canada a fait produire localement neuf nouveaux modules en Douglas Fir, une essence locale. Ces modules sont également un peu plus grands que les autres, c’est normal, c’est l’Amérique !

Comment tu arrives à convaincre ces institutions culturelles de faire une session dans leurs locaux ? Ça ne leur fait pas peur au premier abord ?
Généralement, je n’ai pas besoin de les convaincre, ils m’invitent parce qu’ils ont envie de faire le lien entre leur programme et leurs visiteurs habituels et des subcultures comme le skate ce qui leur permet d’élargir leur public j’imagine. Dans certains cas, comme à Chicago, nous n’avons pas trouvé d’espace approprié autour du lieu d’expo et malheureusement,il n’y a pas eu de session.

 Simon Fs Flip1 LBSimon Delpey, FS flip

Et ils payent pour ça, les musées ?
Quand je participe à une exposition personnelle ou collective, j’ai des honoraires, mais même si ce n’est pas négligeable, ce n’est pas du tout ce qui me fait vivre. Je vis essentiellement de la vente de mes oeuvres. Mais je dois dire que les sculptures de Paving Space se vendent assez mal, j’ai l’impression que ce qui impressionne le public et même les professionnels ou les collectionneurs, c’est l’interaction avec les skateurs. Elles sont aussi tellement massives, lourdes et difficiles à manipuler, qu’elles ne correspondent pas à ce que recherchent des collectionneurs privés (difficile d’installer ça dans un appartement parisien… c’est un autre problème de la sculpture). Par contre, je suis un peu étonné qu’aucune collection publique n’en ait jamais fait l’acquisition.

„DIFFICILE D’INSTALLER ÇA DANS UN APPARTEMENT PARISIEN…“

Tu les préviens que y’a des boards qui risquent de finir dans les murs ? Je me souviens de la session à Charleroi, le placo avait morflé un peu..
Une board dans le placo c’est rien, les artistes font bien pire ! Un coup d’enduit et c’est reparti…

Que deviennent ensuite les modules ?
Après l’expo, ils retournent dans le stockage de mon galériste où ils attendent la prochaine.

JimmyCholet_wallieintobankJimmy Choley, wallie into the bank, Charleroi 2017. Photo Tura.

Et si je voulais me les payer, ça coûterait combien ?
Ça dépend du nombre de modules… une sculpture simple à deux modules par exemple, ça coûte déjà un peu plus de 15000€ et pour des assemblages plus complexes à huit modules, on doit être autour de 50 000€. Ça correspond à ma côte en tant qu’artiste. Mais comme je te le disais les oeuvres de Paving Space ne se sont pas souvent vendues. Le musée de Charleroi en a acheté une grande, et un collectionneur privé en a installé une sur une dalle de béton une dans son jardin, mais elle n’est pas skatable. Dans les deux cas, il s’agit des oeuvres en acier Corten, qui ne craignent ni l’usure du skate ni l’usure du temps… il y a certainement une relation de cause à effet.

Je me doute que c’est pas toi qui les fabriques, mais je suis curieux de savoir comment ça se passe, concrètement, pour faire ça…
Elles sont construites par des ébénistes à partir de sections carrées. Au début le module ressemble à un escalier (le bois est collé et vissé), puis ils coupent les carrelets de bois dans le sens de la longueur de manière à obtenir une section triangulaire qu’ils collent sur l’escalier pour obtenir la pente, il faut poncer ensuite. J’ai récemment dessiné tout le mobilier d’une boutique de luxe à San Francisco à partir des modules de Paving Space, ils ont été produits en Italie par fraisage numérique.

Tes sculptures liées au skate sont en bois le plus souvent. Le béton t’inspire peu ?
Si j’adore le béton, mais c’est encore plus lourd et intransportable que le bois massif, donc ce serait pour des oeuvres pérennes, et pour l’instant on ne m’en propose pas… mais ça me plairait, j’aimerais bien développer des version de mes rampes cycloïdales en béton. Je viens de changer de galerie, peut-être que ça pourrait venir grâce à eux, on verra !

Arthur fs blunt verti2 LBArthur Fontis, FS blunt

Les photos ont été prises à Lyon aux Subs dans le cadre de l’exposition „L’Inclinée“ (qui s’est tenue du 28/09 au 8/10/2022).