A PROPOS DE SKATESHOPS – BONUS

Pour payer ma bouffe bio de bobo parisien, cet été, j’ai bossé dans un skateshop. Jusque là, mon expérience de ce côté du comptoir s’était limitée à deux jours en 2001 pendant les soldes, où j’avais tendance à orienter les clients venus chercher des Muska à 800 francs sur des Kalis à 300 francs vachement plus skatables. Etrangement, on m’avait dit que ce n’était pas la peine de revenir le jour suivant… Quelques années sont passées, j’ai fini par comprendre certaines logiques commerciales et me voici tout seul trois mois durant à la merci du fameux client-roi et quand même parfois un peu casse-couilles…
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Le cleptomane
Un type avec un sac en bandoulière entre dans le magasin. Il a l’air d’avoir une grande gueule, il blague un peu sur le skate et s’enfonce dans le magasin. Je renseigne des clients au comptoir mais je surveille machinalement l’écran divisé en quatre qui retransmet (et enregistre tous les mouvements) une image aux contours flous, quand je crois bien le voir mettre un t-shirt dans son sac. Je doute un peu tant lui ne doute de rien. Je perds le fil de ma conversation en réfléchissant à comment en être sûr, et comment réagir. Je n’ai pas vraiment le temps d’y penser, le type se dirige vers la sortie. Je l’alpague en lui disant : « Tu ne voulais pas acheter un t-shirt ? », qui le surprend. Il bafouille un truc, prétend qu’il avait effectivement un t-shirt dans les mains mais qu’il a posé dans le fond du magasin. Je ne suis pas complètement sûr qu’il l’a mis dans son sac alors je reste ambigu. Je le laisser aller au fond où il reste un peu trop longtemps pour être honnête. Au moment où j’arrive à sa hauteur, il me tend le t-shirt sur son cintre en disant « bah tiens, le voilà le t-shirt ! » et me demande tout de suite si j’ai ces Vans en 41. Je me dis, que bon, au final, si j’arrive à lui vendre un truc… Mais en allant dans la réserve, je réalise que le type est en train de m’endormir alors je lui dis que je n’ai plus rien en 41. Le mur compte un trentaine de modèles. Le type a compris que j’ai compris son manège, alors il retourne la situation : « Tu ne veux pas me les vendre, c’est ça ? ». Je lui dis que tout a été vendu en 41 et qu’il vaudrait mieux qu’il parte. Le ton change. Il revient sur le sujet du t-shirt et m’accuse de l’avoir lui-même accusé de vol. Or je ne l’ai accusé de rien et il le sait. Ca dure un peu, je lui dis de sortir, il me dit qu’il veut bien m’attendre dehors en rigolant à moitié. Il se vante d’avoir été un gangster dans sa jeunesse, qu’il mettait des claques au mec de Chattanooga et qu’il le dévalisait avec ses potes. Je reste tranquille, il finit par disparaitre. Tout est sur la vidéo. Il avait même piqué le cintre !

Le poissard
Le mec est cool. Vraiment. Il débarque au shop un jour parce qu’il a perdu une vis. Peut-être deux. Je le dépanne. Il revient le lendemain parce qu’il a pété un roulement. Je le dépanne. Il revient le lendemain pour tenter de faire tenir l’écrou de son truck dont le pas de vis est foutu. Il l’enfonce au marteau. Le jour suivant il a de nouveau cassé un roulement et il finit au bout de quelques jours par acheter un jeu à 10€ avec un chèque plié en quatre qu’il sort du fond de sa poche. (Je sais que c’est toujours chiant d’aller à la banque pour déposer un chèque de 10€ mais bon, le mec est vraiment cool, et au pire, pour 10€… Et son chèque passe sans problème la semaine suivante.) Et comme ça, il revient 3 fois par semaine pour changer ses gommes, des vis ou encore des roulements qu’il casse tout le temps. Ca me fait marrer quand je le vois arriver parce que je sais pourquoi il est là, et je l’aide à réparer sa board. Il me montre ses tricks sur son téléphone, les trous dans ses Nike ACG que les sneaker heads rendraient fous. Si je n’étais pas coincé là, j’irais skater avec lui. Entre deux roulements qui lâchent, il pète sa board et m’en rachète une qu’il paye avec un autre chèque plié en quatre qui a trainé plus d’une session dans sa poche. Et puis il revient changer un autre truc deux jours plus tard. La semaine suivante, j’apprends que le chèque est en bois…

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L’enfer des soldes
Premier jour des soldes. Un femme arrive avec un t-shirt qu’elle a acheté ici auparavant et souhaite se faire rembourser. Le t-shirt est neuf, je lui fais un avoir. Je repose le t-shirt en rayon, à côté des autres en solde. Elle fait le tour du magasin et revient au comptoir avec le t-shirt que je viens de ranger, qu’elle vient de rapporter. Elle veut l’acheter avec son avoir. Et aujourd’hui, il est à moins 30%. Je mets quelques secondes à comprendre l’entourloupe et je finis par lui dire que ce n’est pas possible, que ça ne se fait pas. Elle insiste comme c’est pas permis, je reste ferme et elle finit par reposer le t-shirt pour prendre le même en blanc. Je n’ai pas envie d’y passer la journée alors j’accepte, sauf qu’au lieu de lui donner un nouvel avoir (la différence des 30%), je m’y perds et je lui réclame cette différence, qu’elle me paye en liquide ! Sur le moment, ni elle ni moi ne réalisons l’erreur. Je suis énervé, je me dis qu’il y a vraiment des gens tordus, prêts à s’humilier pour pas grand chose. Elle revient l’après-midi avec son fils qui n’aime pas la nouvelle couleur du t-shirt, qui préfère l’autre (le gris qu’elle a rapporté le matin-même). La négociation reprend, ça dure au moins 10 minutes, elle reste parfois pendant des secondes entières sans rien dire, à attendre que je laisse tomber. A croire qu’elle ne partira jamais. Le fils se tient derrière, mal-à-l’aise, et puis on finit par réaliser en même temps l’erreur que j’ai fait le matin. En fait, c’est moi qui lui devait les 30%. Elle comprend qu’elle a été très conne. Je comprends que j’ai été très mauvais. Je me tais. Je lui tends son argent. Elle repart avec le t-shirt gris.

La blague de l’ordinateur 
C’est le mois d’août, c’est très calme jusqu’au moment où deux potes arrivent prendre l’apéro (j’ai des tonnes de bières au frigo). J’ai mal au dos alors j’en profite pour aller m’affaler dans le canapé avec eux. Comme j’ai laissé mon ordinateur sur le comptoir, je demande à l’un d’entre eux de me dire quand du monde entre dans la boutique (l’angle est mort depuis le canapé mais pas depuis là où il est). Un type un peu bizarre entre, demande le prix des boards et dit qu’il repassera avec sa femme… Il rôde un peu de l’autre côté du magasin pendant qu’on raconte des conneries dans le fond. On finit par retourner du côté du comptoir au bout de dix minutes. Des clients entrent, essayent des chaussures. Les deux autres sont devant à fumer des clopes et font des aller-retours au frigo. Je vois que mon ordinateur n’est plus là. Le genre de blague que j’aurais probablement été capable de faire, à une époque. Au bout d’une demi-heure, je leur dis que c’était marrant, mais que j’ai besoin de faire un truc sur l’ordinateur avant la fermeture. Pas de réaction. Les derniers clients entrent, sortent, je ferme la boutique. Les deux autres m’attendent dehors. Je leur dis que là, bon, ce serait pas mal qu’ils me le rendent, mon ordi, parce que je rentre chez moi… Les mecs ont picolé, ils se marrent, incrédules. J’insiste un peu mais le verdict tombe : le type était aussi bizarre qu’il était suspect, et coupable, comme le montre la vidéo.

Le jeune filou
Il passe régulièrement au magasin lorgner sur les slip-ons, se plaint que l’ancien vendeur n’était pas sympa. Il les essaye plusieurs fois et puis un jour, il finit par se décider. Elle coutent 80€. Arrivé à la caisse, il me tend 75€ en billets froissés. Je lui demande comment on fait. Il se sait pas vraiment. Vu que dans le fond, moi, j’suis un type sympa (et un peu con), je finis par lui lâcher la paire en lui disant de revenir le lendemain avec les 5€. Je ne le revois que deux semaines plus tard et lui demande s’il est venu régler ses dettes. Je crois bien qu’il aurait bien aimé que j’oublie l’affaire, il fouille dans ses poches, ne trouve rien et profite de l’arrivée de monde dans la boutique pour disparaître. Je laisse une main-courante à mon successeur. C’est pas pour les 5€, c’est pour le principe.

A propos de skateshops, c’est aussi une série d’interviews ICI.