A PROPOS DE SKATESHOPS : SHUFFLE!

Souvenez-vous de votre première visite dans un skateshop. De la deuxième, puis de toutes les fois où vous y êtes allé, comme ça, pour ne rien acheter, juste pour être, littéralement, dans le skate… A Cherbourg, Nicolas Saghaar est là pour faire perdurer ce plaisir, derrière le comptoir de Shuffle!, quand il n’est pas à faire des trous dans ses chaussures en faisait des concours de switch heel… 

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„IL Y A DU CONTACT HUMAIN EN TOUS CAS !“

Avant l’ouverture du shop, où est-ce qu’on pouvait trouver des boards à Cherbourg ?
Nicolas Saghaar : Je commence le skate en 1997 et il y a l’ouverture d’Ability en 98, qui a dû ensuite fermer en 2009 ou 2010. A cette période il y a encore un magasin qui s’appelle Décadence qui vend des trottinettes, du longboard, du bodyboard, mais aussi du skate. Nous on monte notre association en 2010 (Run CUC), on organise notre premier contest, et Décadence nous file des lots. Richard nous soutient sans problème jusqu’en 2012. Il se trouve que j’arrive à obtenir une disponibilité à mon boulot à ce moment-là, que j’ai une certaine connaissance des projets liés au skate en cours, que je connais certaines marques, alors je me dis qu’il y a moyen d’ouvrir un skateshop. Et Shuffle! ouvre en février 2013.

C’était quoi ton boulot ?
J’étais éducateur spécialisé, j’ai fait ça pendant 10 ans.

Ah, bah c’est pas si éloigné finalement !
Oui, y’a du social dans un skateshop ! J’ai peut-être une certaine bienveillance ou une empathie avec les gens, effectivement… Il y a du contact humain en tous cas ! Par contre niveau compta, rien n’à voir !

Tu n’avais aucune expérience dans un skateshop ?
Aucune ! Juste une culture dévorante de skate, quelques bonnes connaissances et une idée précise de ce que je voulais faire.

Ouverture en plein mois de février, donc.
Oui, j’arrête mon boulot le vendredi, j’ouvre le shop le samedi, en pleines vacances de février. Mais le projet est né quelques mois avant ça, en septembre 2012, quand j’ai appris qu’un mec de Caen voulait ouvrir un shop à Cherbourg. C’est vraiment ça le déclencheur, pas vraiment le skateshop d’avant qui était en place. C’était plutôt qu’il y en ait un deuxième qui vienne s’installer, pensant faire dégager celui qui était là. Moi j’étais de retour à Cherbourg depuis 2010, j’avais repris l’asso, on avait mis des choses en place comme des cours de skate dès 2011 après que la mairie nous ait contacté…

Mais tu es originaire de Cherbourg ou pas ?
Oui, je suis juste parti faire mes études à Caen, mais j’ai passé toute ma scolarité ici, jusqu’au BAC. J’ai découvert le skate au lycée. J’emmenais ma board à Caen mais je rentrais à Cherbourg tous les week-ends… Le skatepark de Napo, qui date de 1998, j’en suis un peu à l’origine. La mairie nous avait fait venir à une réunion et moi j’y étais allé avec des plans que j’avais fait sur Paint ! Et finalement, les gars de The Edge les ont pris et s’en sont servis comme base pour la création du skatepark. Et donc en 2009, je reviens à Cherbourg. Je bossais à Deauville et j’en avais marre de faire deux heures de bagnole tous les jours pour revenir surfer ici ! Dès que j’ai été titularisé, j’ai demandé à une dispo et j’ai trouvé du boulot à Cherbourg. Bref, on a monté l’asso tout de suite parce que les structures existantes commençaient à dépérir, pour essayer de dynamiser tout ça, et aussi s’occuper… Au final la mairie était preneuse et nous a appelé tout de suite pour donner des cours de skate pendant les vacances. Donc on leur a demandé une salle et un peu d’argent pour faire des modules et acheter du matos. Et plutôt que de commander les boards chez Décadence, on les a commandé chez Bud parce qu’elles étaient de bien meilleure qualité… Déjà on savait qu’il y avait un certain manque à Cherbourg…

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L’idée fait son chemin…
Grâce au skatepark la scène repart, j’apprends que certaines marques comme Carhartt se libèrent à Cherbourg donc à partir de septembre 2012 je commence à appeler les marques, je joue un peu avec elles parce qu’il faut leur faire croire que les autres sont OK alors rien n’est signé, sans que Décadence soit au courant… Alors plutôt que ce soit un fournisseur qui l’appelle pour lui dire que je vais ouvrir, je préfère appeler Richard moi-même. La discussion tourne autour de comment on va se partager le marché : lui garde les trottinettes, le surf et le longboard, et moi je fais le skate. Bon, au final je vends quand-même un peu de surf, à l’étage ! Pour la petite histoire, j’ai quand-même eu un coup de fil de Florian de Bud pour me demander si je ne voulais pas faire Bud Cherbourg mais j’ai préfèré faire mon truc.

Qu’est-ce qui a changé depuis le premier jour ?
J’ai ouvert avec peu de choses. Comme je te disais, pour avoir les marques ça fonctionne en pré-commande, mais il faut bien ouvrir, avoir une date ! Et quand je les appelle en février, j’ai déjà raté le coche, donc j’ouvre avec les stocks des marques qui galèrent en fin de compte ! J’ai du Sole Tech (Emerica, Etnies), Huf et Lakai sur deux étagères. L’été j’arrive à faire les précommandes et je récupère Nike et Adidas l’année suivante. J’ai Carhartt en fringues et tous les produits de chez V7 Distribution. Riot, aussi, déjà, avec Polar. L’essentiel, quoi ! J’ai pas mal galéré pour récupérer Vans, aussi…

Tu as tout de suite monté un team ?
Déjà, avant d’ouvrir, j’avais identifié des mecs qui skataient bien. J’en avais parlé à Richard qui les avait sponsorisés. Du coup quand j’ouvre je récupère Jocelin Sourisse ! Aujourd’hui il y a Jean-François Pain aussi, Léo TualPacome Clément et Julien Jourdain… Sponsoring de shop, quoi ! Moins 30% et une board de temps en temps.

„JE SUIS D’ABORD DANS L’ASSOCIATIF,
C’EST L’OPPORTUNITÉ QUI A FAIT QUE J’AI OUVERT UN MAGASIN“

Tu penses que dans une ville de taille moyenne comme ici, pour survivre il faut s’impliquer dans l’associatif aussi ?
Moi je suis d’abord dans l’associatif, c’est l’opportunité qui a fait que j’ai ouvert un magasin. Mais je pense que l’asso, c’est le meilleur moyen d’être légitime auprès des mairies…

Comment est la scène aujourd’hui, par rapport à 2010 ?
Ça a bien évolué. Il y a énormément de jeunes et ça se féminise de plus en plus. Les skateparks se développent et sont complémentaires, dans toute la région (Basse Normandie). On est largement bien, par rapport à Caen, on a plus de structures extérieures en béton… La réalité c’est qu’on n’a pas de scène street comme moi j’ai connu, notamment comme à Caen.

Oui, il y avait quelques spots, à Caen, le port !
Oui, la ville a été refaite après la guerre, notamment le port de plaisance, un peu comme Le Havre : avec des grands trottoirs bien roulants, alors que ici, non. On n’a que des pavés ! Mais ça ne nous empêchait pas d’aller faire du street sur les quelques spots quand on était plus jeunes, parce qu’on n’avait très peu de skateparks. Aujourd’hui les jeunes vont au skatepark. Surtout parce qu’à Cherbourg il n’y a pas de place où se retrouver comme à Paris ou même à Rouen et à Caen. C’est un peu dommage, on perd un peu le côté « ride » de spot en spot… Donc pour nous, le développement du skate à Cherbourg ne pouvait passer que par les skateparks. C’est même pas qu’on a une police répressive sur le street, non, il n’y a juste pas l’envie, et pas de spot. Ça roule vraiment mal.

On est en Normandie, il pleut quand-même beaucoup, il n’y a pas de projet de Park couvert ?
On a cette salle depuis 10 ans, celle où on fait les « sport vacances », avec les modules. C’est là qu’on va l’hiver, de plus en plus souvent d’ailleurs, grâce à Jeff qui a négocié de nouveaux créneaux dans cette salle, qui est une salle multisport, dans laquelle on range les modules après chaque session. Mais il n’y a pas assez de salles effectivement, pour toutes les activités, donc on travaille dessus…

Parlons d’actualité. Comment tu as vécu le confinement ? Je crois savoir que la plupart des shops souffraient déjà pas mal, c’était un peu comme un coup de grâce ?
Je sortais d’une année difficile personnellement. J’ai dû embaucher Jeff en 2019 pour me libérer du temps pour m’occuper de mes enfants. C’était cool, ça a développé le magasin mais mine de rien, son salaire et les charges font que j’ai dégagé très peu de bénéfice à la fin de l’année. Donc c’était limite. Noël s’est bien passé mais les soldes derrière n’ont pas été vraiment intéressants, et là paf ! Confinement ! Je n’avais pas beaucoup de trésorerie, et au bout de deux semaines, il n’y avait plus rien. La première semaine, certains gros fournisseurs ont commencé à m’appeler : « vous avez reçu ça il y a un mois et demi, il n’y a pas de raison de ne pas payer ». Il faut savoir que dans la pyramide des skateshops, Shuffle! Se situe probablement au milieu, ou peut-être même en bas, je ne sais pas… On est à Cherbourg… Pour ces marques, on n’a même pas de représentant. Tout se passe par mail ou des interfaces numériques. Aucun rapport humain. Mais bon, j’ai quand-même pu leur dire que c’était pas possible donc j’ai été tranquille le reste du confinement. J’ai rouvert le 12 mai et le 20 j’avais une lettre qui me demandait de payer…

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Tu n’as pas de site internet ?
Je n’ai plus de site internet. Et je n’ai pas mis de « drive » en place…

Pourquoi pas ?
Je n’ai pas eu le temps. J’avais les enfants une semaine sur deux, ça se passait bien, mais l’autre semaine c’était un peu la folie. Je faisais de l’inventaire, de la compta, du ménage, et on se concentrait sur la réouverture. Nettoyage de printemps, quoi ! Mais en fait, étant en confinement, je pensais que les gens n’auraient pas besoin de matos… Il y aussi eu le concours Rave qui s’est mis en place et qui a bien fait bouger les choses pendant le confinement.

Et la réouverture ?
Là pour le coup, il fallait être prêt ! Dès le premier jour, j’ai commencé à vendre beaucoup de matos. Le problème c’est qu’on est rapidement arrivé en pénurie !

Pénurie de quoi ?
De roues, de trucks… De tout mais jamais au même moment !

Comment on gère ça, alors ?
Bah, il y a plusieurs distributeurs… En appelant le premier le lundi et en prenant des grosses quantités tout de suite ! Les mêmes réflexes qu’en début de confinement quand les mecs prenaient des kilos de pâtes et de PQ !

Oui mais au final, on revient au coeur du métier du skateshop : vendre du vrai matos de skate.
Oui, même s’il y a toujours eu une progression pour le shop, avec l’ouverture des nouveaux skateparks, et puis tu peux dire ce que tu veux de Cherbourg mais les hivers sont de plus en plus secs…

Est-ce que tu penses subir les ventes en ligne ? Est-ce que tu as des mecs qui viennent juste acheter du grip parce qu’ils ont oublié de le commander avec leur board ?
Je trouve qu’il y en a moins. C’était plus flagrant il y a quelques années. Ça arrive mais c’est rare et je m’en fous un peu. Je pense que le magasin a fini par être repéré, que les gens, les parents surtout, commencent à privilégier le local. Mais c’est difficile à dire.

Il y a une prise de conscience ?
Oui, je pense. A Cherbourg, les premiers restos vegans ou avec de la bouffe locale ont ouvert il y a trois ou quatre ans, les friperies ont toujours existé mais ça explose depuis deux ans… Il y a pas mal de jeunes comme moi qui reviennent vivre ici, qui reviennent de Paris et qui apportent leur expérience, des idées qui font du bien à la ville. Ça reste compliqué quand-même mais c’est dynamique je trouve.

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Imaginons que le shop n’existe pas et que tu veuilles t’acheter un board. Tu irais où ?
J’irais à Rouen, à Caen, à Rennes… Le plus proche évidemment c’est Stéphane (Bud), à Caen. Pour avoir vécu là-bas et fait des photos avec les mecs de Bud, on se connait bien !

T’es pas en trop en concurrence avec lui ?
Non. Caen c’est quand même à 120 kilomètres.

Pourquoi tu n’as plus de site web ?
C’est compliqué. C’est chronophage, quasiment un job à plein temps pour alimenter un site avec du contenu original, ensuite il faut être bien référencé pour ne pas se retrouver trop loin derrière, sachant que ça change tout le temps, il faut être un coup sur Twitter, un coup sur Instagram, avoir un blog… Et puis j’ai eu des commandes avec des cartes bleues clonées qui ont bien foutu la merde… Tout ça pour au final perdre le site parce que j’avais oublié de renouveler le nom de domaine !

Donc tu t’es dis que ça n’en valait plus la peine.
Voilà. C’est dommage parce qu’on avait refait un super beau site qu’on n’a jamais alimenté…

Comment tu vois le shop dans 10 ans ?
Ailleurs j’espère ! Ce serait cool !

Plus grand ?
Oui, dans deux ans et demi on arrive à 10 ans, la fin d’un cycle, donc soit des grands travaux, soit ailleurs. Soit autre chose, on verra !