Qu’est-ce qui fait que les vrais skateshops, ceux avec pignon sur rue et un type qui sait qui est Duane Peters derrière le comptoir, se raréfient ? Aujourd’hui le cas de Silver Bay, feu-skateshop breton installé à Saint-Brieuc : en 2015 Hervé Delattre a décidé de mettre la clé sous la porte, face à l’immobilisme local…
„LE FAIT QUE QUATRE BOUTIQUES COMMANDENT ENSEMBLE, C’ÉTAIT DU JAMAIS VU EN FRANCE“
À quel moment tu as créé le shop et quelles ont été les raisons qui t’ont amenées à ouvrir cette boutique ?
Hervé : J’ai ouvert le shop en 2001. Il faut savoir qu’à l’époque, à Saint-Brieuc, il n’y avait qu’une seule boutique dédiée à la glisse. C’était un magasin assez traditionnel qui s’appelait « Wind and Surf » et qui couvrait un tissu très divers : ça allait du longboard à la planche à voile. Vu qu’à la base je suis issu du surf, lorsque j’ai ouvert j’ai voulu faire quelque chose de plus pointu qui correspondait plus à l’esprit du skate et du surf. J’étais dans le Finistère avant de monter ce magasin et il y avait déjà clairement une offre très développée là-bas. À Saint-Brieuc il y avait un gros train de retard, c’était un peu le far-west, du coup j’ai voulu faire un petit coin de Californie à Saint-Brieuc.
Pourquoi « Silver Bay » ?
J’aimais bien les comics, surtout « Silver Surfer », et on était dans la baie de Saint-Brieuc… Donc je ne me suis pas trop pris la tête !
Dans une petite ville comme Saint-Brieuc, comment est-ce que tu décrirais la place du seul skateshop du coin pour la scène locale ?
Je pense que c’est un interlocuteur assez important de la scène skate. J’ai souvent organisé des contests et des évènements et j’étais toujours là pour filer des lots. Avant qu’on arrive, les lots des contests c’était du t-shirt qui avait pas été vendu depuis 10 ans, des stickers et un peu de wax, quoi… Du foutage de gueule ! À côté de ça moi je leur filais des bonnes boards et des shoes qui venaient de sortir. Je mettais en valeur les riders.
Je me souviens que malgré le fait que ça soit un petit shop, ce que tu mettais en rayon était assez cool…
C’était important. Il fallait crédibiliser les riders. À long terme on voulait qu’il y ait un skatepark au cœur de Saint -Brieuc. On avait même remonté une association dont j’étais vice-président, qui s’appelait « Roulez Jeunesse ». Le but c’était de promouvoir la scène skate et de pouvoir bénéficier d’un skatepark en centre-ville. On voulait juste faire un bowl aux Promenades (NDLR : un parc municipal de la ville), c’était ça le projet en somme. On voulait qu’il soit en centre-ville pour dynamiser la ville, et en plus on aurait eu un train d’avance sur toutes les autres villes de Bretagne.
En plus il y a de la place aux Promenades !
Avec ce skatepark on aurait pu accueillir des contests que les autres villes ne pouvaient pas accueillir, parce qu’on aurait été la seule ville de Bretagne à bénéficier d’un bowl. À l’époque la mairie et le conseil de proximité ont voté pour, mais quelques riverains un peu abrutis qui habitaient devant les Promenades ont tout fait pour empêcher que le projet aboutisse. Le projet a été placardé alors que le plan du futur skatepark a été voté favorablement deux ans de suite. Le pire c’est qu’à chaque vote favorable, la mairie demandait une nouvelle étude auprès d’un cabinet d’urbanisme pour s’assurer de la faisabilité du projet. Une étude pareille ça coûte dans les 50 000 euros… Aujourd’hui il n’y a toujours rien, et on a payé tout ça pour rien. Si c’est pas du foutage de gueule, franchement !
Est-ce que c’était difficile d’être crédible en tant que boutique spécialisée dans le skate auprès des habitants et commerces locaux ?
J’avais de la clientèle qui me connaissait, et ça se passait très bien globalement. Faut avouer qu’au départ la mentalité briochine (NDLR : les habitants de Saint-Brieuc), effectivement… elle a tendance à avoir beaucoup de préjugés, en fait. Pour rester poli, ils sont franchement coincés, ils ont beaucoup d’à priori. J’ai voulu être utile à la ville, j’avais envie d’offrir la possibilité aux jeunes de faire les choses différemment, sauf que c’était un peu difficile par ici.
„SI ON MONTAIT EN FRANCE UN SYNDICAT DES SKATESHOPS, ON POURRAIT MIEUX DÉFENDRE LA PROFESSION“
Tu avais des relations avec les skateshops de l’ouest français ?
Oui bien-sûr ! J’étais bon pote avec les mecs qui avaient les shops de Quimper, Carnac et Brest. À l’époque on avait même passé une commande en commun pour baisser les prix auprès de notre fournisseur, et on s’est rendu compte que ça nous faisait pas mal de matos gratuit. Au final on a fini par être quatre magasins à passer commande ensemble, si bien qu’au final on nous a surnommé « les 4 fantastiques », ou « la mafia bretonne » ! Le fait que quatre boutiques différentes commandent ensemble auprès du fournisseur, c’était du jamais vu en France. On n’était même pas vraiment concurrent parce qu’on était assez éloigné les uns des autres, et en plus ça nous a permis de créer une synergie avec une vraie bonne ambiance.
C’est étonnant que ça ne se soit jamais fait avant, alors que ça serait plus simple autant pour les boutiques que pour les distributeurs non ?
C’est clair ! Par exemple chez Volcom on avait des conditions de dingue, alors on faisait des gros volumes et on faisait le poids par rapport à leurs conditions. On commandait tellement d’un coup que les fournisseurs ne voulaient pas non plus qu’on annule nos commandes, ça nous protégeait par la même occasion. Si on montait en France par exemple un syndicat des skateshops, on pourrait mieux défendre la profession face à des grosses marques qui sont en train de pourrir l’ambiance et de tuer petit à petit l’industrie du skate et du surf. Je me demande ce que Nike vient foutre dans le skate et le surf honnêtement… Pour moi les mecs se sont ramenés juste au moment où ils ont su qu’il y avait une part du gâteau à bouffer. C’est pas de l’amour pour cette culture là …
La fermeture du shop à beaucoup affecté la scène skate ?
Je pense que oui, automatiquement. Après je t’avoue que je suis parti de Saint-Brieuc directement, ça ne m’intéressait plus. Quand j’ai compris à quel point c’était immobile, après 10 ans, j’en pouvais plus. Je n’ai jamais vu un tel immobilisme… Faut vraiment pas compter sur les politiques. C’est un parcours du combattant, et j’ai pas envie de ramer pour rien non plus… Je pouvais être plus utile ailleurs. Au final je suis parti de Saint-Brieuc parce que les choses ne bougeaient pas là-bas. J’en avais marre de voir que ça n’avançait pas, et j’avais pas envie de crever avec la ville.
Maintenant que tu as pris un peu de distance vis-à-vis de la scène skate, est-ce que tu suis encore ce qu’il se passe dans le milieu ?
Oui bien-sûr, j’ai encore des relations dans le milieu, ça reste un truc sentimental, le skate. Je regarde encore des vidéos, même si je regarde plus les vidéos oldschool. La dernière vidéo que j’ai regardé c’est la Time Bomb par exemple, et je me suis refait la Photosynthesis aussi !
Entretien réalisé par Florian Debray en octobre 2017.
Voir aussi Zeropolis (Lille), Official (Toulouse) et WallStreet (Lyon) Vega (Paris) et Balargue (Issy-les-Moulineaux).