Après de nombreuses années en tant que skater sponsorisé, Jean-Jean (qui a préféré garder l’anonymat) est passé de l’autre côté du miroir pour être ‚team manager‘. Aujourd’hui rangé des voitures, il raconte sa petite expérience au beau milieu de ‘l’Industrie du skate’.
Joseph Biais, fence bounce, Antwerpen
Comment as-tu fini par devenir Team-Manager ?
Je pense que j’étais juste un peu moins con… Je ne dis pas que je ne l’étais pas, mais je pense que j’avais fait moins de conneries, et j’étais docile… mais surtout je pense que je suis à peu près le seul à avoir à un certain moment commencé à penser à la vie après le skate (en tant que skater sponsorisé – NDLR). Et en fait, la marque en question avait juste un directeur marketing, pas encore de team-manager. Je voyais que les autres marques commençaient à s’y mettre, alors un jour, après une blessure, je suis allé le voir et je lui ai proposé de le soulager de cette part du boulot. Je crois que j’avais commencé à me dire que si je me faisais un truc grave, on aurait vite fait de me lâcher et je ne voulais pas me retrouver sans rien… Moi je pensais à un mi-temps et puis finalement, ils m’ont pris à plein temps après quelques semaines.
Comment s’est passée la transition ?
Au début c’était compliqué parce que bien-sûr, je voulais faire les deux, être rider et TM. Je n’avais pas réalisé les responsabilités auxquelles tu es confronté. Je pensais que ça consistait juste à conduire le van et payer le resto et l’hôtel avec la carte de la boîte. Ah ah ! (…) Le premier tour que j’ai fait en tant que TM, je n’avais même pas encore la carte de la boîte, j’ai dû tout avancer moi-même ! Je ne sais pas si c’était un test de leur part pour me responsabiliser, s’ils flippaient de me la laisser ou si vraiment ils ne l’avaient pas, en tous cas, ça a marché, j’ai vite compris que faire les deux n’était pas vraiment possible. L’avantage, c’est que je connaissais très bien les attentes des skaters donc au final, c’était pas si difficile. Le plus chiant étant d’avoir à assumer les conneries des riders.
„LES MECS AVAIENT TOUT CLAQUÉ DANS LA WEED“
Quels genres de conneries ?
La liste est longue… Le plus chiant, c’est quand les mecs commencent à faire les cons et à défoncer le van ou l’appartement que tu as loué. Avec ton nom en caution, bien-sûr… Non seulement tu dois essayer de les moraliser, et là tu passes bien pour un connard, alors qu’au final, les connards… Mais bon, le pire c’est quand tu te retrouves face au mec de l’agence et que tu dois assumer tout ça. (…) Au bout d’un moment, les riders ont fini par avoir un ‘per diem’ (une somme d’argent dont disposent les skaters quotidiennement- NDLR) sur les tours et il est arrivé qu’on me réclame tout l’argent de la semaine d’un coup. Et forcément, au bout de 2 jours, les mecs avaient tout claqué dans la weed et venaient de réclamer plus d’argent… Le truc classique ! Donc après, je leur filais l’argent tous les matins… C’était assez bizarre d’avoir à jouer les papas alors que j’étais à peine plus âgé qu’eux…
C’est souvent des histoires liées à l’argent, j’ai l’impression…
Oui. Parfois les mecs sont tellement cons qu’ils n’arrivent même pas à arriver jusqu’à l’aéroport, quand ils ne se perdent pas à l’intérieur de l’aéroport et qu’ils ratent leur avion bêtement. Et ensuite ils te disent au téléphone que c’est parce qu’ils sont trop défoncés de la veille, tout en sachant qu’ils n’auront pas à assumer financièrement leurs conneries…
C’est arrivé souvent ?
C’est arrivé ! Trop de fois !
Comment on gère ça, avec la marque ?
Ça dépend. Si c’est un gros tour, tu as une marge de manoeuvre, tu as une colonne ‘imprévus’ dans ton budget, mais si c’est un petit évènement, ça réduit ton budget et tout le team est pénalisé. Bien-sûr aux yeux de la marque, c’est toi le responsable…
„LES MECS NE LISENT JAMAIS LEUR CONTRAT“
Après, les marques en demandent parfois beaucoup aux skaters, des trucs qui sortent de leur contrat, non ?
Pas vraiment. Les marques savent que les skaters sont des abrutis pour la plupart, donc ils ne prennent pas le risque de tout miser sur le team. C’était plus à moi qu’on demandait de produire plus. Indirectement c’était à eux (les skaters du team -NDLR) de faire plus, oui, mais on ne m’a jamais demandé de leur faire faire des trucs complètement fous. En fait, les mecs ne lisent jamais leur contrat, donc quand on leur demande certains trucs qu’ils n’ont pas l’habitude de faire, comme des shootings produit par exemple, ils se plaignent ou même refusent…
Les skaters ne sont pas tous des abrutis, et j’imagine que certains patrons de marques sont aussi des gros cons…
C’est clair…
Tu as bien une petite anecdote…
Ah ah ! Le problème avec certains ‘patrons’, c’est qu’ils veulent toujours des traces de tout, et que même s’ils te disent qu’ils te font confiance, en réalité, ils ne te font jamais confiance à 100%. Après il y a parfois des mecs qui abusent, mais c’est arrivé qu’on me demande de rembourser certains trucs qui étaient hors-budget, comme si j’en avais profité directement… Il y a des mecs dans ‘l’Industrie’ qui ne comprennent pas la façon dont fonctionne le skate, et pour qui leur job consiste juste à satisfaire son boss, ajouter une ligne à leur CV et aller bosser chez H&M ensuite… Le pire, c’est quand ils viennent de ces marques-là !
Daan van der Linden, fakie nosegrind, Lyon
Tu n’as jamais regretté de n’avoir pas poussée ta carrière de skater sponsorisé plus loin ?
J’avoue que parfois je me demande jusqu’où j’aurais pu aller, mais je crois que je serais allé nulle part et que je me serais retrouvé à 36 ou 37 ans sans savoir quoi faire. Peut-être que j’en aurais bien profité mais je préfère la façon dont ça s’est passé.
Tu n’aurais pas pu devenir, justement, le patron ?
Pas dans cette marque. Quand le business du skate a commencé à retomber, ça devenait compliqué et c’est là que les mecs aux dents longues sont arrivés… Comme j’étais plus ‘un homme de terrain’ et que remplir des tableaux Excel n’était pas vraiment mon truc, on m’a rapidement poussé dehors…
Ils t’ont remplacé ?
Non… Mais ils ont aussi viré beaucoup de riders…
Quelle place occupe le skate dans ta vie, aujourd’hui ?
Je suis toujours ce qu’il se passe. Ça n’occupe plus autant de place qu’à cette époque, mais je suis toujours à fond, je skate dans mon coin…
Pourquoi garder l’anonymat ?
Pourquoi pas ? Ah ah !
Entretien réalisé le 12 mars 2017