Tout le monde a une histoire de Mark Gonzales. Celle de Sem Rubio a duré 10 ans et se raconte en photo sur 224 pages. Sem aurait probablement fini avec son nom sur une board mais une blessure a écourté sa carrière. Au final, c’est presque aussi bien comme ça. Parce que personne ne fait des photos comme Sem et qu’il fallait bien un type aussi génial que lui pour shooter un type aussi génial que Mark Gonzales. Mais le livre contient aussi une vingtaine d’interventions d’autres types aussi géniaux comme Spike Jonze ou Ed Templeton, qui racontent leur propre histoire de Mark Gonzales. Etrangement, Sem et l’équipe de Cascade, qui a produit le bouquin, ne m’ont pas demandé la mienne, d’histoire, alors la voilà !
Un jour d’automne en 2005 ou 2006. Je skate à Bastille avec Jérôme Romain AKA Cloben, en visite. On fait du flat. Il fait gris. Je sais que Gonz est en ville et qu’il rôde dans le 11ème, alors je ne suis pas trop surpris de le voir apparaitre de l’autre côté du rond point. Cloben ne le voit pas tout de suite et ne se doute pas de ce qu’il va se passer. Je lui dis juste : « Attention, il va se passer un truc fou. Tiens-toi prêt. » Ça le laisse circonspect. « Quoi ? Quoi ? » dit-il en regardant de tous les côtés. « Tu vas voir ! » Il oscille entre la méfiance et l’impatience. Je ne quitte pas son visage des yeux pour être sûr de capter le moment où Gonz va apparaitre dans son champ de vision.
Bingo. Gonz arrive sur la place, fait un ou deux tours de piste en agitant les bras, vient vers nous et nous demande avec sa fameuse voix nasillarde : « Hey, you know how to do kickflips straight legs ? » On n’est pas sûr d’avoir compris alors il nous montre. Un flip les jambes tendues. Ça ne ressemble à rien et c’est impossible mais c’est Gonz qui nous le demande, alors on essaye. Ça serait ridicule si ça venait de quelqu’un d’autre. Ça dure quelques minutes, Gonz n’oublie pas de faire le tour de la place entre chaque essai et finit par nous crier au revoir de loin, puis fonce vers la route, en direction de l’Opéra. Deux voies dans un sens et deux dans l’autre. On se dit qu’on va voir Gonz mourir là, devant nous.
C’est mal le connaître. Il se faufile entre les voitures sans aucune appréhension et disparait au loin. On n’est pas sûr de ce qu’il vient de se passer. On se dit qu’on n’a pas pu avoir tous les deux la même hallucination. Et on sait déjà qu’on n’oubliera pas cette session de si tôt. On a quand-même arrêté les flips jambes tendues, depuis.
Mark Gonzales, photographs by Sem Rubio, 55€, ISBN : 978-0-8478-6870-4
Pour une interview de Sem Rubio au sujet du livre, c’est ICI.