SKATESHOPS PARISIENS, VIDEOS ET TIRADES EGOCENTRIQUES

Quand Nozbone a ouvert en 2003, je bossais chez Sugar avec deux anciens de chez Street Machine. Inutile de vous dire que tout autre skateshop parisien n’avait aucun égard pour eux. Mais moi j’étais encore plus con que ça : il aura fallu au moins 3 ans pour que je finisse par y mettre les pieds pour la simple et bonne raison que je trouvais le nom “Nozbone” affreusement mauvais. Le Z à la place du SE venait d’ailleurs confirmer mon raisonnement implacable : avec un nom pareil, ça ne pouvait pas avoir le moindre intérêt. 

Victime de son orgueil, “La Machine” (un jour, il faudra faire un article sur ce skateshop légendaire) a fini par mettre la clé sous la porte et puis il a fallu se rendre à l’évidence. En plus de sponsoriser tout un tas de kids (dont pas mal sont aujourd’hui pro), d’avoir imaginé le fameux Benchmark Contest (et autres rencontres skateboardistiques), en 2009 Nozbone a réussi à faire ce qu’aucun skateshop parisien n’avait jamais réussi à faire : une vidéo. Au-delà du fait que j’ai un trick dedans (ce qui, forcément avait commencé à me faire changer d’avis sur ce que certains avaient déjà commencé à appeler “La Noz”), à cette époque où le skate parisien était en pleine effervescence et où le DVD avait encore une valeur quelconque, l’exploit avait mis tout le monde d’accord. En plus de ça “Rendez-vous” sonnait cette fois parfaitement à mes oreilles, cinq ans après Bon Appétit (qui reste incontestablement l’une des 5 meilleures vidéos de tous les temps, si je peux me permettre). 

Depuis, Nozbone a subi l’arrivée de nouveaux skateshops plus ou moins légitimes, des attentats à quelques centaines de mètres en 2015 et une faillite (entre autres désagréments) pour finalement renaitre à deux pas de République. Tout ceci sans jamais cesser de refiler des boards au team, de produire le Benchmark et de faire des vidéos dont la dernière en date perpétue la bonne tradition des titres en français : Terrain vague, après Café Clope en 2013 et Intramuros en 2017 (ouais, c’est du latin, pardon) toujours sous la direction de l’irremplaçable Ludo Azemar.

Si j’ai passé un certain nombre d’heures à confondre centre social et skateshop dans ma jeunesse, ma plus longue expérience de l’autre côté du comptoir se résume à un été à “La Noz” en 2019*, ce qui justifie probablement le fait que j’ai été choisi pour écrire ce texte.

*la plus courte remonte aux alentours de l’an 2000 quand j’avais été embauché chez Starcow pour les soldes et qu’on m’avait dit que c’était pas la peine de revenir le lendemain parce que ça me paraissait stratégique d’orienter les clients venu acheter des Circa Muska non soldées (soit à environ 200€) vers de DC Kalis à 50%…)

Un article au sujet des vingt ans de Nozbone paru dans Free #53 en anglais ICI. Voici donc la version originale, avec leur autorisation.

Par David Tura

Pit stops

Un jour de cet été-là donc, un type suant a débarqué au shop en plein stress parce qu’il venait de casser un roulement alors qu’il était en train de filmer une ligne. La détresse mêlée à la montée d’adrénaline se lisait sur son visage. Forcément, il n’avait pas un rond sur lui et son filmeur l’attendait à sur le spot. Alors j’ai sorti un roulement et une clé de 13 d’un tiroir rempli de ferraille et deux minutes plus tard je le regardais partir en poussant frénétiquement depuis le pas de la porte d’un air satisfait, lui ayant offert le service, en espérant une reconnaissance éternelle envers les hommes de l’ombre qui, comme moi, ont sauvé tant de sessions sans rien attendre en retour. Bref, même si filer un roulement, un écrou ou une vis à tout bout de champ c’est pas non-plus le meilleur moyen de faire tourner son business, ça reste le rôle d’un skateshop, à mon avis. 

Sponsoring is not a crime

Dans les années 90, en France, être sponsorisé par un skateshop signifiait souvent juste avoir des réductions sur les boards (et occasionnellement d’en avoir une gratuite pour aller faire un contest). Ça ne coûtait rien au skateshop et tout le monde était content, parce que même si les riders continuaient de payer leurs boards, ils s’achetaient par la même occasion le fameux statut de skateur sponsorisé tant convoité. S’il y a probablement encore des skateshops dans le monde qui pratiquent ce genre d’escroquerie, il est inconcevable d’imaginer un skateshop sans team. De la même façon, un skateshop se doit de soutenir les contests et autres petits évènements de sa zone de chalandise, et même au-delà. Si tout ceci a l’air charitable, en réalité, c’est tout simplement du marketing.

Reel-o-days

Les vidéos font aujourd’hui aussi partie des différents leviers marketing incontournables d’un skateshop mais que tout le monde ne peut pas se permettre un tel investissement (autant en argent qu’en temps et en énergie), d’autant plus à l’heure d’instagram où il est beaucoup plus simple de tout balancer sans réfléchir. Sauf qu’il serait naïf d’opposer “long length” et réseaux sociaux quand ceux-ci sont complémentaires. Instagram pour la visibilité à court terme, et la “vraie” vidéo pour le long terme. Parce que dans 10 ou 20 ans, si personne n’ira revoir vos reels d’aujourd’hui, la vidéo de skateshop, elle, sera toujours plus facilement accessible, et restera à jamais le témoin d’une époque, d’une scène, d’un trip.

Skate your local skateshop

Si la banlieue dans laquelle j’ai grandi était loin d’être une mine de spots, c’était carrément le desert en terme d’endroit couvert. A part un parking Ikea à 20 kilomètres au milieu de nulle part, c’était la déprime les jours de pluie, jusqu’au jour où les gars du shop local (Starcow, qui s’appelait encore Just Cow) ont emménagé dans une boutique toute en longueur, juste assez grande pour y poser une flat-bar et faire quelques grinds au milieu des boîtes de chaussures et des t-shirts Broke le dimanche. Histoire d’évacuer un peu la frustration et de pouvoir exposer 25 ans plus tard dans un magazine les multiples fonctions d’un skateshop. Au passage, à la cave, chez Nozbone, il y a une petite mini en béton depuis quelques années…

Support your local social club

Même s’ils ont un team, font des vidéos, sponsorisent des contests, passent des pubs dans les magazines et feront tout pour faire croire le contraire, les plateformes en ligne qui vendent des boards ne sont pas des skateshops, C’est un fait, pas une opinion, et c’est toujours bon de le rappeler. Et je doute que ceux qui boycottent le skateshop* du coin en achetant sur le net aient la moindre idée de la personne à qui ces achats bénéficient, et le tort que ça crée à tous les skateshops physiques (dans lesquels on peut parfois skater les dimanche pluvieux). 

*pour des raisons irrecevables telles que: “ils filent des boards à lui et lui je l’aime pas” ; “Ils avaient le t-shirt Dime en vert mais je le voulais en bleu” ; “Ils n’ont pas voulu changer mon grip”

Drink water

Un détail qui devrait être un red flag en entrant dans un skateshop est le petit frigo de boisson énergisante posé dans un coin. Mais je ne m’attarderai pas plus sur ce point parce qu’il est même possible que Nozbone en ait eu un à un moment, ce qui pourrait foutre en l’air tout cet article et nuire à la réputation du shop, de ce magazine et pire encore : la mienne. Ne prenons donc pas de risque et passons au paragraphe suivant. 

*après vérification, il semblerait qu’il n’y ait jamais eu de frigo Redmonster chez Nozbone ni de bouteille de ouzo sous le comptoir

Recycle or die

Il existe une rumeur persistante d’un skateshop parisien qui demandait à ses riders de lui rendre les boards une fois skatées pour pouvoir, soit disant les revendre ensuite (officieusement pour s’assurer qu’elles n’étaient pas revendues sous le manteau). Ce qui est sûr, c’est que de la même façon qu’en Allemagne on rapporte ses bouteilles au supermarché en échange d’un bon d’achat, il faudrait instaurer une consigne sur le matos de skate. Ça ramènerait un peu de monde dans les skateshops et ça éviterait de voir trainer des boards pétées sur les spots. Elles pourraient ainsi être recyclées en panneaux d’aggloméré après un passage à la déchetterie (dans le meilleur des cas, et après avoir enlevé le grip), ou revendues à prix d’or à des mauvais artistes persuadés d’avoir eu l’idée siècle en peignant sur des planches de skate. On pourrait même refondre les vieux trucks pour en fabriquer de nouveaux et faire des magnifiques colliers de perle avec les vieilles roues qui seraient revendus à des punks-à-chiens. 

Print’s not dead 

Gratuits ou payants, les magazines ont toujours eu leur place sur le comptoir des skateshops comme excellente source de ragots et de diffuseur de tendances. Si les réseaux sociaux ont pris le relais sur ces deux aspects, on en trouve néanmoins toujours, des plus underground (comme Versus ou FTBX en France) au plus célèbre, même s’il faut bien avouer qu’il est beaucoup plus facile de trouver un t-shirt Thrasher qu’un magazine du même nom dans un skateshop… Si (toujours en France) on trouve Sugar parfois en kiosque, on le trouvera plus facilement dans bon nombre de skateshops à côté de Free et Solo. Et si lors de votre visite il ne reste plus rien, sachez que ces trois magazines sont aussi disponibles sur abonnement, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est plus nécéssaire d’aller au moins une fois par mois au skateshop le plus proche. Ce sera toujours plus sain de dépenser votre argent là-bas qu’au bar, surtout qu’en terme de rumeurs et de talk shit, ça reste à peu près équivalent. 

Big business

Puisque Decathlon a décidé de venir pourrir le marché du skate, dont on a connu meilleure période pour les shops, le mieux est peut-être au tour des skateshops de faire le voyage inverse et de se mettre à vendre des articles de sport. Bon ok, il y a peu de chance que ça ait le moindre effet sur le business du supermarché du sport français (d’autant plus que sa spécialité est de vendre des produits à des prix bas, que sa taille justement lui permet). Mais vu que le skate est désormais aux yeux du grand public un sport, les skateshops n’auraient-ils pas intérêt à vendre aussi des vrais articles de sport ? Vu l’engouement pour l’escalade ou le vélo ces dernières années auprès des skaters, et vu les prix auxquels on s’est habitué pour du matos ou des shoes, si les skateshops se mettaient à vendre des cuissards et des chaussures d’escalade, possible que ça se vende. Pas sûr non-plus. Le mieux est encore d’attendre que les marques issues du skate se décident à produire ce genre d’articles. Puisqu’on est dans les collab’ ridicules en ce moment, on n’est pas à l’abri d’une collab’ Emerica/La Sportiva ou Helas/Rapha. Au risque que Palace fasse une collab’ avec Quechua…

On m’avait demandé de faire les “Do’s and Don’ts of running a skateshop” en partant des 20 ans de Nozbone et de la vidéo qu’ils ont produit pour l’occasion, et voilà où ça m’a mené. Pas sûr qu’on me rappelle pour l’article “Do’s and Don’ts of running a skatemag”, pourtant j’aurais quelques trucs à raconter…