3034 KM ET 2 PAIRES DE CHAUSSETTES

L’idée de partir marcher sur l’Hexatrek était dans un coin de ma tête depuis que j’avais entendu parler de ce projet de rando deux ans auparavant. Mais partir aussi longtemps me paraîssait utopique… C’est grâce à l’équation d’un printemps très calme côté boulot et d’une suspension de permis que je me suis décidé courant mai 2023 de partir dès la fin du mois marcher sur l’Hexatrek. L’expérience de plusieurs longues rando (traversées des Pyrénées, de la Corse et des Alpes à pied, ainsi que plusieurs traversées de la France à vélo), m’a permis de partir sans aucun entraînement spécifique (l’entraînement physique se fait les premières semaines, il faut juste pas trop forcer au début et accepter de laisser passer le temps des douleurs). Mes anciennes aventures m’ont permis également de savoir quel matériel me convient de prendre. J’aime être léger et minimaliste.


Texte et photos par Guillaume Martinez, AKA Maître Grilladin

Les chiffres

  • Jours : 101 au total
  • Jours off : 8 (dont 4 pour attendre un putain de colis  !)
  • Jours de pluie: 9
  • Poids de base du sac : 6,5 kg (= sans eau ni nourriture)
  • Km par jour : en moyenne 33
  • Plus grosse journée : 53km (d’après le tel, plutôt optimiste)
  • Kilos perdus : 5
  • nombres de jours max sans ravitaillement : 4
  • Budget : 1200 €/mois (?) (pas mal de resto, quelques hébergements, les chaussures, rachat d’objet perdu, les supérettes hors de prix en montagne… ça monte vite !)
  • Blessure : 1 le muscle TFL (d’après le diagnostique à distance de mon kiné favori!) de la jambe gauche  très douloureux en début de seconde semaine. Au point de devoir mettre un coup de frein dans l’aventure (1 jour off et 2 journées à 15km). Dans ma tête c’était impossible de finir la traversée des Vosges. La douleur a commencé à se réduire la semaine suivante, pour quasi totalement disparaître vers la fin des Ecrins. (km 1200).
  • Paires de chaussettes : 2 en tout 
  • de Fois Rasé / coiffeur : 1
  • Des fois où j’ai eu froid (pour de vrai) : 1 (passage à La Pierre St Martin, j’ai senti des picotements au bouts des doigts pendant 15 jours) 
  • spots de skate: 1 ou 2… rien vu d’exceptionnel !
  • Bivouacs plus ou moins sauvages : 59
  • Nuits en camping : 21
  • Nuits à la belle étoile : 4 (dont 1 dans une caverne)
  • Nuits en cabane/refuge non gardé : 7
  • De nuits à l’hôtel/gîte/auberge de jeunesse : 3 (+ Airbnb 2)
  • Nuits en famille/chez des amis : 4
  • De fois ou je me suis lavé: (dur à dire !) probablement à chaque fois où j’ai dormi en camping, gîte, Airbnb etc. Sinon les soirs de bivouacs, j’essayais de me rincer juste avec 1 litre d’eau et un gant de toilette, ça fait déjà une grande différence pour passer une bonne nuit.
  • De fois où je me suis perdu : 0, avec un GPS sur le tel, impossible de se perdre (tant que t’as de la batterie ou que t’es en état d’utiliser ton tel)
  • De fois où je me suis trompé de chemin : bien trop de fois ! (80 ?)
  • De fois où j’ai eu un peu peur en montagne : 6
  • De fois découragé : 0, il est arrivé 3 ou 4 fois où je me suis dit que mes jambes n’étaient plus en mesure d’avancer le lendemain. 
Les forêts des Vosges sont justes magnifiques. Les chemins sont faciles, pas trop de dénivelé,
parfait pour se mettre en jambes !
  • De fois ou j’ai eu le moral dans les chaussettes : pleins de fois ! Tu passes ton temps à passer de la déprime à l’euphorie ! La douleur au genoux et les ampoules aux talons ont été un gros facteur de déprime, la neige dans les alpes du nord un gros facteur de stress et de découragement. Les champs de cailloux dans le massif de Belledonne et dans les Pyrénées, les cailloux qui roulent dans la Drôme. Les milliards de chenilles en Lozère… Quand t’es dans le ventre mou de l’aventure, dans et qu’il te reste 2 semaines avant d’atteindre les Pyrénées, le vent dans les Corbières, la faim dans les Pyrénées et la pluie au pays basque sont les situations qui ont vraiment atteint mon moral le plus fortement. Mais pas de donner envie d’arrêter.
  • De jours où j’ai croisé quasi personne : 3
  • Départ le plus tôt : 3h15
  • Arrivée la plus tardive: 00h10 (Pas la même journée heureusement !)
  • D’objets perdus : 5 (lunettes de soleil, casquette, bonbonne de gaz, creme solaire, sardine, )
  • Truc le plus improbable que j’ai fait : regarder des tutos de twirling bâton
Les alpes, ici face au Mont Blanc. Il restait pas mal de neige en ce début d’été. Les premiers passages enneigés ont été assez compliqués pour moi, le temps d’apprendre comment les appréhender.

Les peurs

Les Alpes du Nord ont reçu des grosses quantités de neige en fin de saison, du coup il en restait encore beaucoup en juin. J’avais peu d’expérience dans la neige et pas la bonne technique pour descendre. Je me suis cassé la gueule par 2 fois lors du franchissement de l’un des premiers cols enneigés. C’était juste des névés dans des pentes pas très raides et sans danger. Mais pas de quoi me mettre en confiance et qui montraient les limites des minis crampons que j’avais quand il a fallu affronter mon premier passage (un peu) raide (pas tant que ça avec le recul) avec potentiellement une glissade sans visibilité de fin. Le stress ! Mais après quatre heures de montée, t’as pas envie de faire demi-tour.

Au final ça s’est bien passé, j’ai juste mis un temps fou pour faire 200 mètres. Et vu de plus bas, il n’y avait pas de danger réel. Ça a été clairement le pire passage pour moi. Je me suis offert un repas complet au refuge pour fêter cette épreuve. Par la suite j’ai été coaché par une jeune mamie. Il faut au final, bien planter les talons et enchaîner les pas sans s’arrêter. J’ai testé sur des névés peu raides pour commencer. Ça marche bien. J’ai passé des passages largement aussi raides par la suite, j’étais nettement plus détendu.

Le centre, le faux temps calme. J’imaginais que ça serait un temps de repos, car il y a nettement moins de dénivelé mais les chemins étant très peu fréquentés, ils sont souvent envahis de ronces et à la période où je suis passé, des milliers de chenilles se laissent pendre des arbres. Leur fil de soie est comparable aux toiles d’araignées, ca colle au visage… c’est vraiment l’enfer avec la transpi.
Les Pyrénées, plus sauvages que les Alpes (particulièrement la variante par la Haute Route des Pyrénées) mais magnifique, avec des lacs partout. Il faut parfois porter jusqu’à 7 jours de ravitaillement si tu ne veux pas redescendre te ravitailler en vallée. J’avais un appétit bien trop grand pour faire plus de quatre jours sans ravitaillement, du coup j’ai dû redescendre à Vielha dans le Val d’Aran.

Le col inférieur de Litérole, dans les Pyrénées. (la photo 5 est prise juste avant d’arriver au col) C’est le col le plus haut de la HRP (Haute Route des Pyrénées). Il n’y était pas annoncé de grosse difficulté en dehors des périodes enneigées. Et fin août, il n’y avait plus rien. Mais la dernière partie pour monter et redescendre est bien raide avec une roche ultra friable qui se dérobe sous les pieds et les mains.

Au col j’ai eu la mauvaise idée de ne pas regarder sur la carte par où passait réellement le chemin et j’ai tracé tout droit au milieu du pierrier. J’ai désescaladé comme j’ai pu les premiers mètres en y allant vraiment pas à pas. Chaque rocher auquel je m’accrochais se désolidarisait de la montagne, du coup c’était plus de la lutte contre la glissade que de la désescalade. Ensuite je me suis retrouvé dans un pierrier où à chaque pas la moitié de la montagne descendait avec moi. Il n’y avait pas de risque de mort, mais j’ai eu quand même ma petite suée.

Il est assez rare que je dorme sur les spots instagrammables, je préfère m’éloigner des autres randonneurs et des spots humides comme les bords de lac. Je suis plus de l’école de marcher tant que je peux et de dormir où je peux. Malgré ce qu’essaye de nous faire croire la photo, le spot de ce bivouac était très fréquenté). Il s’est mis à pleuvoir juste après que j’ai fini de monter la tente et j’ai dû cuisiner à l’abri.

Col de la Pierre Saint Martin. C’est le dernier col à plus de 2000 mètres des Pyrénées, juste avant d’arriver au Pays Basque. il n’y a aucune difficulté particulière. Mais la météo était annoncée comme très mauvaise, avec des énormes quantités de pluie. Mais n’étant plus très loin de la fin du périple, j’ai décidé de passer ce col malgré tout. Je l’avais déjà passé en 2020 et savais qu’il y avait une cabane en bon état de l’autre coté. Idéal pour passer une nuit confortable et au sec. J’en ai pris plein la gueule comme jamais : des trombes d’eau, du vent, puis de la grêle et de la neige au passage du col.

J’étais trempé jusqu’aux os, les pieds et mains congelés (le reste du corps était OK, ce qui permet de garder l’esprit clair). Les mains étaient tellement prises par le froid que j’arrivais à peine à tenir mes bâtons. L’enfer pour enlever et remettre les gants, et de toute façon impossible d’utiliser mon téléphone, le tactile ne répondait plus avec l’eau. Il n’y avait aucune visibilité, je ne pouvais pas regarder si j’étais sur le bon chemin… mais ça ressemblait à peu prés à la géographie croisée trois ans plus tôt. Ça m’a paru interminable.

Je voulais me dépêcher pour me réchauffer mais il fallait rester prudent car c’est un coin très rocailleux avec une roche calcaire très coupante. C’était clairement pas le moment de se blesser. J’étais dans le doute total, mais l’unique solution était d’avancer. Le chemin était plutôt descendant, et semblait être coté français donc même si j’étais pas sur le bon chemin, je devrais arriver à la station de ski de La Pierre St Martin où je pourrais m’habiter. Au final j’étais sur le bon chemin, en approchant de la cabane la pluie s’est un peu calmée et la visibilité s’est améliorée. Assez pour couper par les prairies et de faire des sacrées zipettes sans conséquence dans l’herbe détrempée.J’ai passé le reste de la journée dans la cabane, et vu tout ce qui est tombé pendant la nuit. J’y suis resté le lendemain aussi ! Suite à cette journée, j’ai eu des picotements dans les bouts des doigts pendant 15 jours.

L’avantage de marcher tôt et tard, c’est qu’on se retrouve seul sur les chemins, à l’heure où la lumière est la plus belle.
Et où tu croises les animaux.
Le pastoralisme, inlassablement vanté par de nombreux panneaux payés par les régions traversées. La réalité est tout autre à mon goût, particulièrement dans les Pyrénées, qui semblent clairement rattrapés par l’élevage intensif. Même au cœur de certains parcs nationaux, censés protégées la flore et faune sauvage. Les troupeaux sont tellement nombreux et important qu’il n’y a plus aucune fleur ni hautes herbes donc plus d’insectes non plus (hors mouches et moustiques, eux bien présents) dans ces zones. Les sols sont bien souvent saturés de bouses et de pisses, rendant certains coins clairement non “bivouaquables”. Voilà je voulais me plaindre un peu !

https://hexatrek2023.wordpress.com/